Le billet de Clairis 2018


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NINA VAN HORN QUINTET – 27/01/18

Une soirée d'ouverture de saison à laquelle s'ajoute une pensée liée aux 21 ans de concerts de Jazzy 77, qui furent relatés avec fidélité dans la presse locale.
Un retour en arrière aux prémices de La Cave du Jazz : le commencement eut lieu en l'église de Saint-Pierre lès Nemours où, en novembre 1996 se déroula un grand concert de blues, dixieland et swing, avec le fameux Salamander's Jazz Band, une formation locale de Fontainebleau. En mars de l'année suivante, ce fut Manda Djinn en concert, un show de la diva de New York, qui accepta, après sa prestation de gospels et de spirituals, de devenir la marraine de Jazzy 77, cela un mois avant sa naissance officielle. Et en juin, l'église vibra des spirituals du Révérend Lucien Garrett, venu de Louisiane et accompagné de la formation Vintage Jazzmen.
Et donc de se retrouver, lundi, en l'église de Saint-Pierre lès Nemours… Mais cette fois pour les obsèques et un hommage au journaliste Philippe Barry, - responsable à la rédaction de Nemours de L'Éclaireur du Gâtinais -, qui fut à l'écoute de la création et du développement de ce qui devint La Cave du Jazz, accueillant depuis lors, dans les colonnes du journal, annonces et comptes-rendus des concerts. Et ce soir, donc, j'aurai une pensée toute particulière pour lui…

Ce samedi 27 janvier était aussi dédié au souvenir, celui d'une grande dame du blues, de la soul et du jazz, disparue en 2003 à l'âge de 70 ans : Nina Simone. Et, pour cette évocation, il fallait le concours d'une autre grande personnalité de la musique, la chanteuse franco-américaine Nina van Horn, qui justifia le pourquoi de son attachement pour la diva américaine : « Pour ses paroles, ses actes et son génie… Elle repose désormais en moi… pour toujours ».
Un engagement dans les profondeurs de la pensée et du cœur qui, les choses se sachant, vit la salle de Lorrez-le-Bocage comble, nécessitant l'ajout de sièges supplémentaires. De quoi satisfaire toute l'équipe de Jazzy 77, et son nouveau président, Frédéric Drevet, élu à la tête de l'association lors de la récente Assemblée générale du 10 janvier.
En prélude au concert, l'ambiance de la salle était bourdonnante, un peu électrique même. Elle prit de l'ampleur dès les premières notes. Avec d'abord la présence flamboyante de Nina, personnalisation de l'autre Nina, dans le noir d'une tenue scintillante dans les lumières, avec de longues franges tombant de ses manches, d'un beau rouge vif, couleur de la passion, virevoltantes dans les mouvements. Une voix hier dite soprano colorature, aujourd'hui différente, mais qui n'a pas perdu de sa vigueur, un peu étouffée en début de concert avant les ajustements de la sono, mais ensuite portée tout au long par une présence de tous les instants. Avec en plus une gestuelle des plus expressives, tant à l'adresse du public, que sans doute des musiciens, qu'elle semble diriger comme une chef d'orchestre. Une attitude naturelle qui n'est pas sans rappeler qu'elle fut un temps danseuse, avant de s'adonner à la musique. Avec en plus un charisme qui entraîne naturellement le public.
Un grand plaisir scénique auquel participaient : Leandro Aconcha, aux claviers, - piano et orgue -, un pianiste aux doigts agiles et sensibles, qui fréquente Didier Lockwood et Ibrahim Malouf, c'est dire ; le Japonais Masahiro Todani, à la guitare électrique et aux sonorités chantantes et fluides, ancien guitariste  de Big Joe Turner ; Denis Aigret, à la basse, et au chant lorsqu'il se produisit en solo ; Mathias Bernheim, à la batterie, imprégné des rythmiques africaines, et qui accompagna le bluesman camerounais Roland Tchakounté. Des artistes notoires du jazz !
Et le jeu d'ensemble est bien en phase avec le répertoire pianistique de Nina Simone, très mélodique sur un fond sonore donnant la sensation d'un intense battement de cœur. Il y a beaucoup de sentiment qui sourd de l'évocation musicale, en échange avec le public, mais pas seulement, comme au temps de Trouble in mind, où Nina se rapprocha de Masahiro, donnant l'impression d'un rapide enlacement… Mais il est vrai que sa présence est porteuse d'une sensation d'intimité, de connivence, de partage avec des musiciens qu'elle connaît bien. En fond de salle, des silhouettes dansent. Les titres se succèdent alternant chants de travail ou de révolte, comme Worksong ou Mississippi Goddam, aux chants d'amour, comme To love somebody ou I love your loving ways. Ou encore, avec The House of the Rising Sun, beau titre trompeur où voix, piano et guitare portent la détresse d'une femme ayant suivi par amour un homme peu estimable à La Nouvelle Orléans, pour y devenir prostituée dans "La maison du soleil levant", une ballade qui inspira aussi nombre de chanteurs, comme John Baez, Hugues Aufray ou encore Johnny Hallyday (Le pénitencier)… Tout un univers cher à Nina Simone que fait véritablement rayonner Nina Van Horn.
Ce sera un concert dont on retiendra l'ambiance fiévreuse, vibrante de battements de mains, des sonorités instrumentales, mais aussi du jeu de lumière de Valérie, à sa meilleure forme…
Au terme des vingt titres clôturant la fin de soirée, après un temps fort où Masahiro descendra dans la salle avec sa guitare pour se fondre au cœur du public, une véritable standing ovation invita le quintet à un dernier morceau, l'un de ses plus grands, auquel sont attachés les noms de Billy Taylor et Dick Dallas, et qui est un questionnement que beaucoup dans le monde, encore aujourd'hui, peuvent se poser : "Je voudrais savoir ce que c'est que d'être libre" !, I Wish I Knew How It Would Feel to Be Free.
Bien belle soirée, en souvenir d'une artiste fascinante, capable de briller seule en s'accompagnant superbement au piano au travers de cette évocation collégiale en correspondance à son image !

 


The French ProjectNICOLAS CHALOPIN QUARTET – 17/03/2018

Il y a un mois, le dimanche 18 février, disparaissait une personnalité locale, l'ancien maire-adjoint à la Culture de Dammarie-les-Lys, fonction que celui-ci quitta en mars 2016. Mais, vous l'aurez compris, il ne s'agit pas d'évoquer un politique, mais du grand violoniste de jazz Didier Lockwood, musicien d'exception, compositeur d'opéras, de concerti, de poèmes lyriques, passeur de passion, source d'inspiration, auteur de nombreux projets, animateur de festivals, un homme dont le président Emmanuel Macron salua le « rayonnement, l'ouverture d'esprit et l'immense talent musical ». Parmi les nombreux hommages qui lui furent donné, je retiendrai aussi celui, sur les réseaux sociaux, de Christian Vander, fondateur de la formation Magma, dans laquelle Didier Lockwood fera ses débuts et qu'il retrouvera à plusieurs reprises, "compagnon de route depuis toujours, pour toujours" : « Tu es resté ce jeune adolescent que j’ai connu lorsque tu avais 17 ans. Ton archet incandescent déversait des lames de feu et de sensibilité. Avec le temps, ta joie, ton plaisir de jouer sont restés intacts.»
Rapelons qu'il avait créé à Dammarie-les-Lys, en 2001, le Centre des musiques Didier Lockwood, une école d'improvisation, bien connue de nombre de personnalités qui se produisirent à La Cave du Jazz.
Cette disparition touche tous les amateurs de jazz, et j'aurai ce soir une pensée particulière pour ce musicien "incomparable", - pour reprendre le qualificatif du violoniste Renaud Capuçon -, et disparu trop tôt…

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Ce samedi 17 mars était à La Cave du Jazz de Lorrez une autre plongée dans le Jazz, celui des années post 40, où s'illustrèrent de grandes figures du bop telles les pianistes Herbie Hancock et Thelonius Monk, Charlie Parker et son sax alto, le trompettiste Woody Shaw,…
Un programme entre tradition et modernité concocté par un musicien devenu fidèle de la Cave : l'excellent pianiste Nicolas Chalopin, qui avait été accueilli à diverses reprises, en avril 2016, avec son propre trio, et un invité dont notre première rencontre remonte aux tous débuts de Jazzy 77, Ronald Baker ; en octobre 2015 et 2016, au sein des groupes respectifs Mosaïque Latin Jazz et Señor Blues. Le succès avait été chaque fois au rendez-vous et ce fut la surprise de trouver une audience relativement moindre que d'habitude pour la présente soirée. Mais il est vrai, une fois encore, que d'autres événements musicaux notables avaient lieu en même temps dans les environs. Il est à constater que la concurrence s'avère de plus en plus rude, une impression d'autant plus forte lorsqu'on fait un retour en arrière dans l'histoire de l'association, - le nom de Ronald Baker ayant été cité plus haut - : lors de sa création en 1997, Jazzy 77 faisait acte de novateur en proposant des concerts de jazz, car, à par quelques lieux privilégiés, comme Samois-sur-Seine et son festival "Django Reinhardt", Fontainebleau (qui fut un haut lieu du jazz, comme le rappela l'ami Blaise Fournier dans un ouvrage paru en 1991) et les "Salamander's,… Montargis et le "Hot club du Gâtinais", dans la belle salle du Tivoli,… la région était presque un no jazzman's land. Aujourd'hui, le Jazz est partout. D'où la nécessité d'être au top !
Pour en revenir à la soirée, elle allait vibrer d'un quartet composé de pros pour accompagner le piano : Pierre Bernier, au sax ténor ; Gaël Petrina, à la contrebasse et Benoit Joblot, à la batterie. Des habitués des festivals, des clubs de jazz parisiens et d'ailleurs, qui se produisent régulièrement dans diverses formations.
Qu'écrire, si ce n'est que c'est du bon jazz, fidèle à la tradition du bop, où les soli mettent en relief la qualité de chacun des instrumentistes, et où les interprétations collégiales des standards sont pleines de générosité et de complicité.
Sans oublier, pour le regard, le jeu physique du contrebassiste, bien difficile à enregistrer pour Maïté la photographe, car en permanence en mouvement. Pour moi qui suis un amateur d'estampes, chaque prise de vue de Gaël me rappelle une lithographie de cet artiste pictural superbe que fut Claude Weisbuch, chantre magistral de musiciens en action.
Et chaque spectateur de se laisser porter par le chant du sax, le jeu fluide et rapide du clavier, les enrichissements de la rythmique… Sans oublier la mélodie des compositions, auxquelles Nicolas apporte sa touche permanente, lorsqu'il ne propose pas ses propres créations, comme Theme for Yascu, l'une de ses belles ballades.
Comme j'ai l'âme voyageuse, je me suis pris à imaginer, fermant un moment les yeux, un petit transfert dans l'espace ou dans le temps, hors La Cave du Jazz, passant de l'ambiance rouge de la scène lorrezienne à une autre cette fois teintée de bleu, quelque part au-delà de l'océan, peut-être sur une vedette du NYC Music Cruise, la nuit tombée, la ville étincelante de ses lumières et de ses reflets sur l'Hudson River ; ou encore en haut d'un Rooftop Bar, avec la saveur complémentaire d'un verre de whiskey américain, pour accroître l'intensité du plaisir qui déjà vous assaille, comme ici en si bonne compagnie musicale.
Mais, hors cette vision impromptue toute personnelle, le public fut à l'évidence lui aussi ravi et réclama un bis par une standing ovation.
Cette soirée m'a sans doute, une fois de plus et plus fortement, donné l'envie du voyage, et donc, avec une touche de regret pour mes éventuels lecteurs, la décision de clore ce billet.
Il me reste à souhaiter aux spectateurs de la Cave du Jazz, lors des prochains et nouveaux concerts que Jazzy 77 présentera, autant de plaisir que j'ai pu en ressentir et exprimer par la plume.