Monica's dream Quartet
le samedi 12 mars 2021

Monica ACEVEDO : violon, chant
Diego PARADA : guitare
Dominique MUZEAU : basse électro-acoustique
Ken PARASSOURAMIN : batterie


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Photos : Valérie CARREAU


 

Monica’s dream quartet, éventail d’une conscience

Il est des moments rares où l’on ressent une modification dans la procession de notre engagement : La Cave du Jazz nous avait habitué à une thématique et une constante, le voyage et le Jazz défini comme un art du bonheur principalement par son goût plaisant de la reprise. Tout d’abord Monica’s dream quartet ne faillira pas, loin s’en faut, à ce creuset alchimique : le groupe épouse par ses causes même nos désirs d’évasion en trahissant les effets troublant de son exil car Monica Acevedo, leader espagnole du quartet, travaille à se façonner depuis son propre dépaysement, dans un esprit exigeant, arraisonné au biographique. La mort des fins de vie familiales toutes proches que l’on chantera, le déracinement comme son contraire, les incertitudes existentielles empliront ses compositions personnelles. Como vivir ? finira le set comme une dernière question. La rupture sensible d’une vraie compositrice est ici consommée, la sincérité du propos est évidente.

Pourtant il ne s’agit pas de faiblir, larmoyer tout son pathos. Certainement hyper-sensible, la chanteuse confiera ainsi son attention portée au texte de Léo Ferré, Avec Le temps, qui au premier abord l’affectera puis étrangement fera place à un autre sorte d’aveu lumineux : celui à l’en croire de l’espérance qui la guide. Bien assis, soleil confiant du groupe Dominique Muzeau se chargera des arrangements à l’aide de sa basse électro acoustique, qui avec le violon de la dame nous apportent son authentique charme boisé. Non, le grand intérêt du quartet et de sa compositrice nonobstant une émotivité certaine c’est son hyper-conscience créatrice depuis son esseulement premier jusqu’à la performance collective finale. Et c’est depuis le concert que l’on remontera à vue le fleuve qui charrie toutes les intentions. Rien ne sera caché, jusque dans ses notes propres comme un dessin à la ligne claire (Edgar Degas dirait que sa qualité sera d’être possiblement répété deux fois, loin des mystères du liant sacrificiel des arts premiers ou de la cuisine esthétique, la pizza picturale) le groupe, déplie un large éventail d’une clarté de décisions confondantes. Il s’agirait presque par l’hyper-conscience de ses actes de réinventer la musique  jusque dans ses habitudes !

De fait on assiste quasiment à ce que je nommerai une chronophotographie auriculaire, ce qui désigne habituellement une technique qui consiste à prendre une succession de photographies permettant de décomposer chronologiquement les phases d’un mouvement (humain ou animal) ou d’un phénomène physique, trop brefs pour être observés convenablement à l’œil nu. Chronophotographie de l’acte créateur ou pour filer encore la métaphore, disque de phénakistiscope, ce jouet optique qui, aidé par la persistance rétinienne, imitait le mouvement. Finalement c’est comme si la musique du Monica’s dream quartet depuis son origine jusque dans sa performance achevée refusait toute forme de persistance auriculaire, les notes même, les intentions musicales, seront toujours entourées des interstices du silence primordial, Ce déploiement sans mystère, sans les brouillards de la production fait de Monica Acevedo paradoxalement une véritable artiste. Comment garder la magie sans le mystère menteur…Du looper magique, outil qui répète à l'identique un signal enregistré ; qui trompe par ses boucles et démultiplie la solitude créatrice de l’artiste jusqu’au scat aux onomatopées rythmiques improvisées qui interpellent le public c’est tout le processus créateur qui est ainsi conscientisé et remis en scène. Le rêve de Monica sera de faire voleter légèrement ce bel éventail mais aussi de le faire ré-entendre : de nombreuses fois lors du concert une drôle intempestivité se révélera maladroitement au contraires des autres confessions, l’accent mis à répétition sur la présence d’un album mis en vente. Ceci doit être remis en perspective avec l’esseulement de l’artiste en temps de Covid.

Malgré l’improvisation, la scène n’est pas tout pour le compositeur, il y a aussi la solitude de la création que la chanteuse raconte sans pudeur. En ce temps de révolution musicale, l’album ayant fait son temps au profit des plateformes internet , des extraits îlotés sur Youtube, il n’est pas anodin de retrouver cette attention urgente presque nécessaire à l’enregistrement et au continuum d’un album. Parce que la création se présente sous la forme d’un éventail, l’exhaustion stylistique sera alors de mise. L’exil est un carrefour où les choix s’interchangent à la croisée du Jazz fusion et la World Music, éduquée et enfantée par la musique classique, inspiré par la musique contemporaine. On connait le « ni-ni » (ce ne serait ni de la variété, ni de la musique world, ni du Jazz fusion) mais aussi le « ou bien ou bien » (on passera du bolero a la bossa nova, et au new orleans) . On assiste à l’accouchement d’une pensée musicale et d’une musique plurielle, savante et même finalement très moderne. L’avènement déplié de cette connaissance immédiate de soi, sorte d’Art in progress à vue, déploie ses phases musicales comme la croissance ou la décroissance des poupées russes. Hyper-conscience post-moderne issus aussi de différentes études classique et Jazz. C’est le passé et le futur qui ici se mettent à jouer des coudes. La chanteuse le confiera sans que la pédagogie n’insiste pesamment sur ce point.

Mais Monica Acevedo préférera traduire l’oiseau colombien (s’excusant de s’exercer en mélomane professionnelle) pour le faire entendre à tous. Des Asturies jusqu’en Ecosse elle tâchera aussi de transposer ses paysages vus ou imaginés en tendant à l'équivalence de sens et de valeur. L’oiseau et les contrées magiques, elle les chantonnera comme sifflait la diva de Kafka, fébrile sous les jeux de lumière qui la présenteront, sur le bord de la scène, du gouffre donc, en un contre jour révélateur à l’instar de son public. Alors j’optai pour la peindre en une sorte d’Edith Piaf ibérique du Jazz fusion, qui allie délicatesse, fragilité et voix cassée mais aussi robustesse et nervosité. Témoin la pugnacité de cet artiste qui insistai depuis deux ans pour venir se produire au Lorrez du Boccage ce qui augure d’un caractère bien trempé. Le nom même du groupe le laisse présager : on devine sa renaissance dans un jeu de mot de par un standard des années 50 de Silver Horace, Nica’s dream. De quoi plonger dans le métal bouillant, cultivé de la réincarnation, depuis tous les tremblants exils.

Fletcher Christian, le 14 Mars 2022

 


 

Éclaireur du Gâtinais (23/03/2022)

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