Michel PASTRE Quintet

samedi 21 janvier 2023

Michel PASTRE : Saxophone ténor
Malo MAZURIÉ : Trompette
César PASTRE : Orgue
Jean-Philippe « Fifi » NAEDER : percussions
Stéphane ROGER : batterie

 

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Presse
 




Photos : Valérie CARREAU


 

 
Vidéos : Jean-Michel MOREAU

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Michel Pastre quintet, fleur dansante du dandysme

Michel Pastre se vêt au naturel d’une sensible singularité, le sentiment de l’ancien. Il vient à La Cave du Jazz pour la toute première fois. Visage aux arêtes franches de détective des comics américains, sourire large, complet chemise et veste à l’élégant camaïeu de gris, pantalon à pinces et souliers vernissés, cheveux toujours noirs, gominés et coiffés lisse en arrière : avec une prestance de héros fitzgéraldien, il endosse ce dandysme intemporel en assumant, par tous les pores, des goûts forcément individués. Bigger than life, le quotidien d’un surhomme : une vraie personnification du Swing ! Une époque lointaine à jamais révolue, bien entendu, enfante donc une bien curieuse énigme… Autour, les autres membres du quintet tranchent un peu, soit par une jeunesse trentenaire à la mode d’aujourd’hui (les trompettiste et organiste) soit par la distinction souple et présente au monde du quinquagénaire (une section rythmique que nous connaissons bien à Cave du Jazz pour être déjà venue avec le groupe Mégaswing) mais en s’engageant eux aussi dans cet esthétisme érigé en mode de vie, un état précis de l’esprit qui permet de faire Art.
Ce leadership comme d’un imperceptible esseulement, on l’entend sur scène bien sûr : Michel Pastre, assumant pleinement l’intégrité de son Swing sait pourtant s’entourer par qui et quoi le différencie ; les percussions et la batterie, orientent son quintet vers des sonorités plus latines, brésiliennes et afro-cubaines quand le trompettiste et l’organiste (le fils du saxophoniste) dévient en croisant ce Swing d’un phrasé Hardbop émancipateur. Alors le ressenti est empli : c’est la musique du plein malgré certaines nonchalances muettes qui reprennent de volées les improvisations en laissant une ou deux mesures passer pour plus de force à venir et l’usage des breaks et des 4x4 d’époque qui viendraient contredire quant à eux l’improvisation parfois collective. On en oubliera presque l’un des projets, rare et important, de Michel Pastre, à savoir reformer en nombre et puissance les grands big bands d’antan. Il sait, lui, s’en donner les moyens. En déportant son concert du jour à la modestie plus évidente du quintet, et après avoir griffonné sur le coin de la table du dîner les titres qui s’incarneront pourtant en un concert trente minutes plus tard, Michel Pastre convoque ceux qui furent alors ses maîtres : Eddie « Lockjaw » Davis, Clark Terry, Illinois Jacquet, eux qui jouèrent dans les big bands de Benny Goodman, Duke Ellington et surtout Count Basie. Il ira même jusqu’à reprendre John Coltrane par l’entremise, certes, d’une interprétation de Lionel Hampton.
On aura compris, ce quintet-là se plaît à jouer trois décennies de Jazz d'une façon surprenante. Des années 30 nous flirtons, comme par des désirs inavoués de modernité, jusqu’aux années 50. Même le Bebop y trouverait sa place, certes fantomatique, de par les congas omniprésentes de Jean-Philippe Naeder, accompagné en binôme par la batterie de Stéphane Roger lui laissant énormément d’espace avec une justesse et une clairvoyance des plus humbles. Ce serait naturel dans une orchestration Latin Bop de Dizzy Gillespie mais totalement atypique dans le Swing. De même la composition du groupe intrigue : avoir un orgue dans un orchestre Jazz reste une singularité. On le voit, on l’entend, ici on croiserait presque les genres. Ainsi Michel Pastre s’affranchit souvent de la gamme pentatonique. La trompette sans faute, impressionnante de maîtrise de Malo Mazurié le rapproche des plus grandes légendes de Blue note. L’organiste César Pastre ponctuant chacune des notes du soliste en un dialogue réactif tient en haleine tous les morceaux proposés. Par la fraîcheur de son jeu aérien et sa faim de jouer, mais aussi ses chromatismes aventureux, il se pose comme un véritable espoir en devenir : une carrière à l’orgue, ici, s‘annonce. Nous ne sommes donc pas seulement dans une proposition univoque.
Pourtant, malgré cette réflexion érudite des temps et des modes, c’est redonner à nouveau sa place au dansant qui redevient primordial. C’est une réussite et avec quel succès ! Ainsi du rappel, On the sunny side of the street, dernier morceau standard (mais non nommé, pédagogie négligemment délaissée en fin de parcours, les chevaux enfin lâchés) en guise de blind test d’un bel et aristocratique real book, qui se rêverait richement enluminé et relié de velours, représenté de chair et d’eau par la fine fleur du dandysme.

Fletcher Christian, le 25 janvier 2023
(adieu.maldone@gmail.com)

 

Éclaireur du 08 février 2023

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