TEXIER / MARGUET Quartet

19 novembre 2022

Sébastien TEXIER : sax alto, clarinettes
Manu CODIJIA : guitare électrique
François THUILLIER : tuba
Christophe MARGUET : batterie

 

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Photos : Valérie CARREAU


 

Vidéos :Jean-Michel MOREAU

Spectres du politique, fantômes de la liberté

Il y a trois ans, nous quittions le Dreamers quartet de Sébastien Textier entraîné dans de subtiles variations sur le thème unique du rêve. Projet fédérateur, l'idée de base aimantait les individualités qui assumaient également de prendre leur propre liberté des solistes. On respirait largement à imaginer ce prétexte à créer : préférer l’éther du songe dont l’étoffe s’avéra tout à fait palpable :nous nous rappelions alors à la célèbre synesthésie, la théorie des correspondances de tous les arts, due à cette belle et exigeante qualité sonore.

Par une antithèse assez particulière,le miroir de la pensée inversa sa réflexion et l’idée, ce piston rassembleur, trouve aujourd’hui à se politiser. Déjà le rêve se teignait en élégie des attentats de Charlie Hebdo. Se sont les spectres du grand combat politique, véritables tombeaux poétiques de l’engagement au monde, qui viennent hanter maintenant la musique de nos deux têtes chercheuses, Sébastien Textier et Christophe Marguet. Le rêve était paradoxalement collectif, l’engagement deviendrait à présent un panthéon presque personnel. Comme s’il s’agissait d’un ample autoportrait guerroyant commandé par l’urgence de notre temps. On n’ergotera pas sur son efficience (qui trouve autorité dans la façon dont ces éloges raisonnent à notre conscience) se serait rabattre un triste couvercle sur quoi le quartet culturellement se rattache - les utopies sauvegardées de la jeunesse - et donc à la séduction même du projet : ainsi cette sorte d’imagination comme introspective du politique incorporera un beau livre nourri des poèmes de Dominique Sampiero et dessins de Sylvie Serprix.

Dieu reconnaîtra les siens et leur mode de communication. L’ascendance est ici évidente.C’est au batteur new-yorkais Max Roach en qui on s’identifiera dans son champs lexical et les thématiques de l’époque. Le titre We celebrate freedom fighters !est directement puisé à cette source : We Insist ! -Freedom Now Suite. En commémoration au centième anniversaire de la proclamation d’émancipation et abolition de l’esclavage, Max Roach réitérait encore les exigences de la cause par cette formulation. 60ans plus tard, notre quartet reprend le relais, à son niveau :question d’urgence face à la montée actuelle des extrémismes. De même, les albums Let freedom ring, It’s time, Action et Right now! de JackieMcLean doivent aussi être sémantiquement des plus influents. Les saxophoniste s’accompagnait d’ailleurs d’un vibraphoniste impressionniste qui n’est pas sans rappeler le choix d’orchestration de notre quartet. Car s’alliant au saxophone alto et la batterie de Sébastien Textier et Christophe Marguet, le tuba de l’excellent François Thuillier (dont il faut saluer la technicité notamment de ses attaques) dépasse souvent son rôle attendu de bassiste et se lance alors dans son solo comme le ferait un trompettiste. Sur Élégie à l’inconnu de Tian Anmen il est proprement exceptionnel ! Il nous remémorerait l’instrumentation des formations du Cool Jazz si le guitariste Manu Codjia ne venait pas apporter sa discrète contradiction Fuzz. Le guitariste choisit, cependant, d’être en partielle imitation avec le saxophone alto : le duo tourbillonne en écho et impressionne, au sens pictural du terme, de toutes ses arpèges mimétiquement égrenées.

Présentement l’Iran bouge et le cinéaste communiste Jean-Marie Straub, en mourant, clos avec lui, une certaine idée de l’engagement propre au XXe siècle.Conjointement, le quartet se charge de rêver historiquement,voyageurs du temps, sa nébuleuse exemplaire. Il le fait avec ses moyens, s’affranchissant par sa seule distinction de l’illustration– par ses ballades atmosphériques, ses improvisations sans clichés, son application désireuse à groover - pour évoquer Aimé Césaire, Gisèle Halimi, Sitting Bull ou encore Olympes de Gouges et l’éternelle Simone Weil. Le concert se fera en effet sans récitant : les quatre premiers morceaux, non présentés, se maintiendront dans leur abstraite énigme, avant que chacun n’ai ensuite son portrait référent, sa figuration, son argument. Mais on citera peu son sujet par des emprunts culturels aisément reconnaissables qui faciliterait la représentation - à moins que l’on puisse imaginer par lasaturation de la guitare, la Danse des esprits de Sitting bull régénérée par l’impressionnisme révolutionnaire d’Igor Stravinsky si, ouvrant sa porte à Charlie Parker, celui-là aurait été moins timide. Ainsi ce Jazz de partitions, dans une proposition esthétique toute acoustique, se consacre donc, seul et spécifiquement, au lyrisme des correspondances propre à une certaine idée de l’art total. Des aspirations de l’adolescence à son plein développement d’adulte, de la lecture à la vertu du combat.

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