Jean-Baptiste FRANC Quartet

Le 24 septembre 2022

Jean Baptiste FRANC : piano.
Olivier FRANC : sax soprano
Enzo ROCCI : contrebasse
Mourad BENHAMMOU : batterie

Qui sont-ils ?
Presse
C'était comment ?
Vidéo



Photos : Valérie CARREAU



Vidéo et montage : Jean michel MOREAU

C'était comment ?


Histoire(s) du Jazz


"Notre douleur parlait, parlait, et parlait, mais notre souffrance resta du cinéma, c’est-à-dire muette. François [Truffaut] est peut-être mort, je suis peut-être vivant. Il n’y a pas de différence, n’est-ce pas."
Jean-Luc Godard, 1988

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Godard le mélancolique n’est plus. Nettement plus proche de Ludwig Von Beethoven que de l’entertainment des orchestres festifs du Jazz d’antan, le misanthrope de Rolle s’est éteint épuisé, de par le suicide assisté : sans doute est-il parti avec son sourire désarmant de Gnafron frontalier. Cette sorte de prince russe, soucieux du montage - c’est à dire, par principe, mettre en rapport les choses - est mort seul, sans filiation. Singulièrement, l’âpre solitude du cinéaste engendra pourtant un nouvel Art du collage proche de Pierre Reverdy, précurseur surréaliste, qui le définissait comme le rapprochement de deux entités distinctes engendrant par un rapport mesuré de l’esprit une justesse dans l’éloignement, la force d’une puissance émotive et la réalité poétique d’une troisième image. Une image-pensée qui au lieu de dire, nous montre à voir, au lieu de souscrire à un récit, s’architecture.

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Ce qui se négociera entre ces deux pôles produira le paysage kaléidoscopique d’une époque, aujourd’hui révolue. C’est cet exercice de laborantin que nous proposa d’explorer le quartet de Jean-Baptiste Franc pour la reprise de l’année de la Cave du Jazz. Un samedi soir Le Lorrez-Le-boccage, mais le lundi matin, New-York ! En voilà un autre beau rapprochement lointain ! Aigle à deux têtes, le quartet se compose principalement du fils et du père. La collure apparente, proposée comme un roman familial - corporation atavique sur trois générations de vocation intrinsèquement musicale - caractérise une répartition amoureuse des tâches. Errol Garner pour le fils Jean-Baptiste, Sidney Bechet pour le père Olivier quand le grand-père René, joua à 19 ans avec celui-là en Europe dès 1949 ! Olivier, lui, sera le représentant officiel de la musique de Sidney Bechet et aura le privilège de souffler dans l'instrument avec lequel jouait le Maître de La Nouvelle-Orléans. De même, Daniel Bechet, batteur et fils unique du saxophoniste soprano les accompagna souvent comme pour officialiser ce passage de relais. Après les soufflants des pères vint le piano du fils et lui aussi ralliera sa propre figure tutélaire.

Alors c’est dit ; par eux, Garner aura rendez-vous avec Bechet, la profusion d’un monde en découlera. Y a t-il dissensus ou consensus dans cette construction en binôme que nous proposent ce groupe au désirs profondément inactuels? Le temps d’une association ils seront de toute façon l’incarnation presque inconcevable, dans un même contre-temps, d’une idolâtrie mimétique pour les grandes figures des débuts du Jazz. Anachronie à contre-courant du temps présent, la question se pose du pourquoi d’une telle entreprise : jouer aujourd’hui fidèlement ce qui fût, d’un autre siècle… Est-ce vraiment le cas ? A voir… Ou à entendre, pas sûr… Car nous avons à faire à l’hommage d’héritiers, par une consanguinité si évidente dans le cas d’Olivier Franc y sacrifiant toute une vie, qui ne pourra jamais être galvaudé. Ainsi les mots mêmes de Duke Ellington sont très forts ; « Bechet était pour (lui) l'incarnation même du jazz… Tout ce qu'il a joué dans toute sa vie était complètement original. (Il) pense honnêtement qu'il était l'homme le plus unique de l'histoire de cette musique. » On mesure alors la folie, au-delà du talent véritable, d’un tel détachement de soi pour une figure si particulière, hors norme. Aussi, c’est donc un tour de force d’acteur de se fondre pareillement dans un tel rôle. Même jeu, pantomime, gestuelle, vibrato tournoyant, tout y est jumeau avec au passage une maîtrise impressionnante du registre aigu. Nous avons quasiment la chance de voir devant nous Sidney Bechet avec toute la transparence et la perfection présente, sans les écorchures des 78 tours, magnifié par l’acoustique pur puisque hors microphones. C’est une expérience temporelle à vivre, Sidney Bechet véritablement, présentement face à nous ! «Ne change rien, pour que tout soit différent » Voilà un autre prélèvement détourné du révolutionnaire Jean-Luc Godard qui considérait le cinéma sans parentèle ni lignage, qui à ces débuts ne se coltinait qu’au présent avant de se confronter à l’Histoire et à la notion plus tardive de l’autoportrait. En bout de course le portrait photocopié de son adolescence : JLG par JLG, quel auto-engendrement !

Jean-Baptiste Franc arbore lui aussi un visage énigmatique : le jeune maître à penser du quartet, primé champion du monde 2018 de piano stride, est un garçon plutôt secret, au sourire et au prénom comme provenus du souvenir de Léonard de Vinci. Figure poétique et touchante, il se promène volontiers hors-scène avec un bouquet de fleurs en réclamant étrangement un verre d’eau en guise de vase. Au cours de l’entracte, il louera discrètement, dans mon dos, la beauté lumineuse de la scène, peut-être surtout son rideau rouge… Effectivement, le rideau convient bien au porte-parole de ce quartet de personnages en quête d’auteurs, un rien burlesques, cravatés et à la tenue désuète, esquissés tout en réserve et en élégance, à distance, comme issus du cinéma daté que nous aimons… Le concert commence. L’adepte passionné d’Eroll Garner comme de Frederic Chopin s’assoit devant son piano droit et prend en charge, seul, les introductions des deux sets par ses ballades toujours prêtes à swinguer. Le contrebassiste Enzo Rocci le rejoint sans ostentation, sans rien avoir à prouver sinon son expérience du métier. Les soli au son presque faible, humainement nous nous surprenons à tendre l’oreille comme on s’approcherait de lui, à proximité du silence le plus avenant. Quant à Mourad Benhammou, il n’est pas en reste pour maîtriser une batterie volontairement minimale. Avec un don remarquable pour les tonalités multiples, solaire et bienveillant, il s’adapte aux toutes nouvelles collaborations du jour avec la maturité alerte de la cinquantaine. Alter-ego de Jean-Baptiste Franc en participant à son disque hommage Garner on my mind, il est le gage de la contemporanéité de l’ensemble. C’est qu’en trio, Jean-Baptiste Franc se révèle et trouve à s’affranchir de ses références, avant que son père, se faisant un temps désirer, n’advienne. Avec Olivier Franc en bête de scène, libre des jeux de lumières, de l’espace et de l’immobilisation par les microphones, tout change de dimension. De par la richesse de sa performance du jour, on pressent ce qu’est une vocation, une vie à jamais dédiée à un médium artistique.

Plus tôt pourtant, au dîné de pré-concert, devant des convives incrédules, le musicien montrait, sans sentimentalité aucune, sa main souffrante d’arthrose et annonçait l’arrêt prochain de sa carrière… Mais au dehors, sur le pavé humide et un cigarillo brûlant aux doigts, comme s’il avait su garder la foi, il confiera ensuite à ses auditeurs de circonstance ce sermon amusé, empli d’auto-dérision, à l’image d’une douce et si propice nuit : longtemps on continuera de voir et d’écouter « le Père, le Fils et le Saint-esprit » !

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