WEST SIDE TRIO

samedi 22 février 2025

Remy HERVO : guitare
Frédéric ROBERT : batterie
Jean-Patrick COSSET : orgue hammond

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Photos : Valérie CARREAU



   Vidéos : Jules GROLLEAU

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West side trio, le sens du cadre intérieur

Allons droit vers l’Est ! La volonté de puissance de Simon Agnel, dénommé Tête d’or par Paul Claudel, guide ce bel héros belliqueux en direction du Caucase. Défaite, son armée rebrousse chemin vers l’Ouest, pour une vérité possible, celle de la conversion catholique d’un ambassadeur-poète encore pour un temps tout jeune rimbaldien.

Go West ! Il sera ici plutôt question, très cinématographiquement, des quartiers chauds de Manhattan. De Leonard Bernstein et les amants shakespeariens de West side story. Certainement moins de Rap new-yorkais plus probablement de la West coast californienne… Ainsi le nom même du West side trio suscite naturellement l’illusion d’une gaze, d’un voile de Maya sanskrit, celui d’un imaginaire inhérent à une latéralité géographique. Du côté de chez Swann ou le côté des Guermantes, comme le formulait heureusement Marcel Proust, du côté de chez West side trio donc. Plus encore, ces trois musiciens nous viennent de Nantes ! Depuis le vieil Océan Atlantique font route les aventureux, au sein du continent francilien. Du côté de l’Ouest tout bouge, se met en en branle, conquérant en sa volonté de jouer, hors leurs terres. De Nantes à Nantes donc puisque moi-même, je proviens du pays breton de la duchesse Anne. Lorrez le bocage se fera le carrefour de cette rencontre, anecdotique quant au concert, beaucoup moins en ce texte tellement l’appel nostalgique de mon arrière-pays me retient et filtre d’une couleur réjouissante cette proximité soudaine.

Hors les murs ! Des bases donc, qui font les certitudes et pouvoir marcher sur l’eau. West side trio n’en est pas soucieux. Ni non plus bien sûr de ma mémoire. Tout en assurance il nous gratifie, dès l’amorce du premier set, d’un merveilleux exercice d’homogénéité instrumentale : une musique qui, d’être trio, fait bloc. Voilà un très beau sens du cadre ! Plus qu’un photographe, digne d’un peintre ! Par exemple d’un Jackson Pollock accaparant « all over » l’ensemble de son tableau par sa technique du dripping, filets de peinture arachnéens qui parcourent l’ensemble de la toile. Ce sens du cadre West side trio le possède à merveille comme si ce son là ressemblait à une image frontalement projetée ne découlant pas de l’enregistrement du réel mais d’une véritable abstraction. Tout y est autant mécanisme qu’ambiance. Pour risquer encore la métaphore picturale, cette musique si symétrique et équilibrée de par sa formation tripartite – orgue, batterie, guitare - emplie l’espace quasi uniformément, mais cette fois comme une toile de Mark Rothko. Car après l’horlogerie, à cet instant autre chose se fait entendre : une tonalité qui engage peut-être cette métaphore picturale balançant entre Pollock et Rothko. La musique est alors peinture feutrée plutôt que gestuelle, à l’intérieur d’un plan unique. Les parallélépipèdes brossés aux bordures du peintre tragique Mark Rothko appellent de beaucoup la musique Jazz du West side trio par leurs tonalités souvent brunes, prunes, violettes et sanguines. Plus particulièrement le projet singulier de 1958 au restaurant du Seagram Building que, par une honnêteté et une exigence radicale, le peintre annulera. La Tate gallery présentera dès 1969 neuf tableaux rescapés de ce projet avorté que l’on nomme dorénavant la Rothko room. Aidée grandement par la scénographie du rideau de velours de la Cave du Jazz, rouge comme une fantasmagorie onirique du regretté David Lynch, quelque chose fait ainsi chambre mentale dans la musique du West side trio. Par sa planéité, comme nous l’avons déjà dit, mais aussi sa retenue interne issue d’une certaine culture live qui induit la mise en abyme de sa propre nature. La performance qui inclue le dédain historique de l’enregistrement accentue le vérisme du vivant : sa discrétion, sa pulsation, son souffle. Le Jazz, Art vivant par excellence, se contrefait en abîmant sa franchise sonore. Sa capacité à communiquer cette identité s’incorpore comme un palimpseste. Non pas une succession de recouvrements translucides qui laisserait à voir quelques messages secrets mais plutôt un polissage aux nuances multiples. Un ton, une couleur donc, une sonorité en retrait : une poupée russe contenue. Le plus par le moins, une soustraction en somme. Bloc homogène et soucieux de l’ensemble de son cadre, le groupe tend à amenuiser très lentement chaque conclusion des morceaux par une soif de silence et de ténuité qui impose le respect et l’écoute et met en panique la volonté habituée d’enregistrer, au seuil de l’audible. Cela s’appelle l’espace. En toute ambiguïté. Des espèces d’espace comme dirait en 1974 Georges Perec qui aimait à insinuer le doute. Plan homogène, lieu isotrope ou au contraire noué et convulsé par les mouvements d’instrumentations solistes ? La batterie de Frédéric Robert, elle fait le lien médian, point fixe mais aussi tellement aérien, à l’écoute de l’orgue et de la guitare en ses deux extrémités visuelles et auditives.

Cependant le concert perdure et trouve sa respiration, un semblant d’extraversion au sein d’une cohérente combinaison d’agencements, mécanisme d’abord propre à l’efficace stabilité d’un trio. Alors nous nous souviendrons encore du dripping de Jackson Pollock, ses sens et directions divergeant à l’intérieur du all over comme les improvisations à l’orgue et la guitare s’égrènent avec vélocité telle une vertigineuse chute au sol d’un collier de perles détachées. Les notes virtuoses, toutes en recherche, du guitariste Remy Hervo et la respiration des pulsations ambiantes à l’orgue de Jean-Patrick Cosset sont nécessaires, en dialoguant, à faire douter et serpenter l’espace. Ainsi, pour mieux fermer le cercle synesthésique, on rappellera tout de même que le tableau de Jackson Pollock White light servit en 1960 de pochette originale au disque d’Ornette Coleman qui donnera son nom au mouvement Free Jazz. À l’intérieur du cadre on se meut et on vit !

Les espaces ambigus tout en progression du concert n’offrent pas d’histoires, pas de story mais un modeste mécanisme qui tient ensuite du miracle, de l’agencement et de la cohésion, pour ensuite mieux se distancer encore, trouver ses dissonances, ses interstices qui font respiration. Profondément abstraite, la musique est l’idée stable et conjointe d’une ambiance et d’une « aventure harmonique ». Et c’est toute la magie d’un son atténué se sachant live, post-moderne par conscience, qui s’en trouve avantagé. Alors le public se révèle discret et à l’écoute comme son représentant sur scène, le batteur médiateur des deux solistes, leur tout premier spectateur.

Ressuscitez tous, Dieu reconnaîtra les siens ! En une belle communion sans sectarisme, les reprises aussi culturellement éloignées que Karma de Joey Defransesco, Tyrone de Larry Young, Les grelots de Michel Petrucciani et Eddy Louiss, On green dolphin street de Miles Davis, Anouman de Django Reinhardt s’imposent par leur dimension plurielle à un public de fins connaisseurs. Plus anonymement les compositions supposées du groupe seront-elles énoncées seulement par leur titre sans renvois référentiels à leurs auteurs mêmes. Aussi reste modeste une musique qui impose sa modernité parce qu’y prime l’attachement à une unité d’interprétation que l’orgue commande, que la guitare exhausse, que la batterie permet.

Ainsi se clos le cercle des correspondances, de Pollock à Rothko et de Rothko à Pollock, ce circuit de peintre à peintre que j’impose sans doute imprudemment à la musique du West side trio pour mieux l’appréhender. Aussi tout le cours du concert trouve à se distinguer. Les deux sets proposés avec beaucoup d’égalité et d’équilibre marquent leurs différentes avancées et finissent par estomper le cadre initial. Car un spectacle cela réfléchit, évolue comme on masse un muscle ou étire une jambe. Pensée et durée concluront donc en se jouant, avec une très belle liberté novatrice de par son style et son homogénéité, des doutes spécieux de l’Espace.

Cyril Durand , le 28 Février 2025
(adieu.maldone@gmail.com) 

 

 


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