![]() |
|
QUATUOR VARIATIONS Julien BLANCHARD : contrebasse, chant |
Qui sont-ils ? |
Vidéos | |
C'était comment ? | |
![]() |
|
![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() |
Vidéos : Jean-Michel MOREAU
Quatuor variations, la grâce ou la leçon du joli jasmin L’auditeur occidental, étranger à lui-même, déraciné sans jamais souffrir du mal du pays car oublieux peut-être de sa propre patrie paternelle, novateur alors par goût et par principe, aime aussi retourner à l’anachronisme des sources culturelles d’autrui. Curieux, il s’intéresse à trouver ailleurs richesse et profondeur, aidé par ce dépaysement que permet l’acceptation inconditionnelle de territoires différents appréhendés dans l’immédiateté de la découverte : séduit, il ressent le temps élongé de la cohérence. Progressiste, il ne reprochera certainement pas à l’autre ce qu’il s’accordera peu lui-même, c’est-à-dire la préservation d’une âme, d’une culture, d’une région, d’un terroir. Ainsi il apprécie, sans être ni spoliateur ni conquérant, de se mouvoir pour une authenticité toute autre. Des autres en l’occurrence puisque les cultures se complexifient, les migrations métissent, les frontières désirantes ou belliqueuses se jouxtent. Lorrez-le bocage et La cave du Jazz ont pris l’habitude et le plaisir d’offrir asile à ces voyages. Aujourd’hui ce seront ceux du Quatuor variations, groupe français mais à la polyglossie bluffante puisée au coeur même des lointaines contrées. Ainsi l’esprit des terres et son écologie romantique viennent à nous pour se rendre plus audibles. S’invite donc au festin la richesse migratoire d’un monde doué de frontières. Le pays est celui de l’autre mais le folklore permettra le retournement natal par cette procuration même. Ainsi moi, spectateur original, attentif à goûter les origines d’autrui, j’aime ce savoir des peuples étrangers qui me renverra à ma propre authenticité si je prends le parti d’une certaine orientation esthétique. Le chant de la grive, l’atmosphère autour du clocher d’un village, le Paradis des herbes perlées de rosée des matins bleus franciliens sont les réponses que je trouvais aux chants orientaux séculaires et même à la musique anglophone des plus contemporaines jouées pareillement par le Quatuor variations. Ce n’est pas un mince exploit que cette ellipse tranchante, cette béance au sein du répertoire proposé par le groupe, de nous rappeler, par là, à nous même. La science innée des peuples est contagieuse. Elle m’apporte ces réminiscences manquantes qui n’appartiennent qu’à mes semblables. L’authenticité folklorique m’atteint universellement : au sortir du concert l’imitation personnelle sera de mise. Quel que soit l’emprunt qu’on fera au folklore on ne peut détruire son authenticité si on a compris sa grâce et si cet état de grâce se retourne vers soi. Ce coup de grâce qui me révolutionne c’est le ruisseau blond du chant clair, sans grains aucun, et la danse stupéfiante de Nadège. Son déhanché et son épaule tournoyants sont si communicatifs qu’elle a la douce autorité de faire lever et imiter un public aussitôt conquis. Mais j’anticipe de trop ce concert introduit avec une grave beauté par la contrebasse et son archet, signant par là même son héritage classique. Il sera suivi du piano, du saxophone puis de la percussion. Ouverture instrumentale soucieuse de se positionner pour contrer au mieux toute prise d’otage émotive. On ne joue pas ici sur la corde sensible mais sur une certaine justesse de message qui est la pudeur de la réinterprétation folklorique, une infidélité loin de toute pornographie émotionnelle bien connue, si prompte à trépider le nerf en mal de sensation forte. Cette retenue sera le fil d’Ariane de Quatuor variations. C’est la définition même de la poésie que de cacher et ainsi montrer la justesse du message. Il s’agit de savoir quoi montrer et surtout comment le montrer. Comment l’évocation bouleverse plus que la violence du document. Ce que l’on retient du tampon du temps c’est l’impression. Elle est mémoire de l’émotion. Ce flou de l’impression issu d’une netteté exotique originelle sera l’amour parachevé de ces territoires. Ainsi des détails il ne reste que la mémoire, ce qui a marqué notre corps ému comme si de l’humain on ne voyait plus que le cœur battre. Coeur que Nadège attouchera de la paume pour chanter l’Ukraine. Pourtant dans le cœur de l’art, le message est de moins en moins explicite : c’est la grandeur de l’évocation. Débutant par un instrumental le chant pourtant advient. Poétique, il ne sera pas dit de quoi l’on parle, mais on se doute bien que la colombe se substitue au charnier. Première évocation donc, quitter le reportage pour la poésie ; Second degré d’évocation, ce chant s’avère en langue étrangère, même si en fin de morceau sa traduction charmera le public muet de sidération. L’abstraction du langage vient s’ajouter à l’évocation poétique. Puis la musique reprend ses droits, alors tout se suspend dans un dernier point d’orgue : la danse accompagnera la musique et en sera l’impression non interprétative ultime. Souvent quand il ne nous reste rien on danse, ici c’est le surplus d’abstractions qui apporte ici son ultime coup de grâce. Saisissant, le geste pourtant ne pourra avoir de portée universelle, aucun geste dans les danses n’ont jamais même signification. Pourtant, paradoxalement, par l’inexpliqué, l’universel poindra tout de même. L’image reprendra ensuite ses droits en fin de morceau par la vision des champs, des femmes des Balkans couronnées de fleurs et la traduction des poèmes du pays. Tout finira par s’expliquer. La politique alors n’est jamais très loin quand bien même en évoquant par les mélodies folkloriques la simplicité des thèmes populaires, on se reportera insensiblement au report contraire : la violence fantôme. La danse sera donc encore un appel à la joie contre la toxicité des horreurs du monde. Elle sera la conclusion des degrés d’impressions et d’évocations qui font beauté musicale et poétique comme si la danse poursuivait une déclinaison, le traité du plein désir. L’Amour défini exhaustivement. L’amour de la nature, de Dieu, de la famille, de l’être aimé. IL n’y a pas qu’en Occident qu’Agape rencontre Éros. Mais chaque simplicité d’intention poétique et folklorique cache son revers sombrement politique. Plus ce politique est prégnant plus étrangement la chanson paraît naïve comme par un mode en contraste. J’anticipe encore les pays que le Quatuor variations porte en lui et qu’il propose. Ils ont certes une base culturelle puissante que Nadège ne se fera pas faute de conter, d’en apporter récits, légendes, et mythes spirituels mais ce qui retiendra l’attention c’est l’homogénéité de la réinterprétation que le piano et le saxophone surtout occidentalisent. Les danses aussi s’apprendront et Nadège descendra dans l’arène au risque de trop pédagogiquement rompre le continuum d’un concert très étudié : des compositions originales toutes instrumentales, de la musique classique du Proche-Orient, ce muwashshah qui orientera tout d’abord le concert vers une identité résolument amoureuse. S’ensuivront chansons tzigane, turque, arménienne, chypriote, grecque, arabe, gitane, hongroise-serbe et ukrainienne. Toutes ces chansons s’avèrent avoir une contemporanéité politique et des interprétations tout à fait actuelles qui supposent de la part du groupe un background culturel, une éducation musicale basée sur les années 90 puis ce 21ème siècle marqué par le Printemps arabe et la guerre ukrainienne. Tous les morceaux finalement proposent une déclinaison de la passion jusque même la mystique du jeu de hasard. Drôle de final que de dresser après toute cette belle anthologie des amours sublimes le portrait convulsif d’un joueur professionnel ! Mode contrasté encore car une véritable paix intérieure semble émaner de la chanteuse, loin des tristes passions, qui jusqu’aux derniers instants du concert recommandera de recourir au corps chantant et à son déploiement pour contrer la cruauté des tensions. Ainsi conclure en anticipant l’Amour c’est redonner sa joliesse au jasmin chypriote. Prévoir et comprendre la vérité du miracle d’une fleur est le gage de l’amour courtois. You learn about it. C’est la leçon généreusement donnée devant l’écran du temps. Cyril Durand le 31 mars 2025 (adieu.maldone@gmail.com) |
53871