Le billet de Clairis

2003 2004


2005

L'Orphéon

Quartet Manouche Marc Thomas Katcheté
Olivier Franc Moreno quartet Denize Loreto Fidgety Feet
SOPA/PATRY Classic Jazz Connection Cisco Herzhaft Quartet

L'ORPHEON 08 janvier 2005

Vous souvenez-vous du trio humoristique Manu Jackpot ? Il se produisit à la Cave du Jazz en décembre 2002, alors dans son bistrot-auberge de Nanteau-sur-Lunain. Un véritable cadeau de Noël, tant l’ambiance produite fut festive… Créé par Emmanuel Hussenot, prix Sydney Bechet de l’Académie du Jazz et créateur de L’Orphéon Célestat, le trio avait été qualifié de plus petit Big Band du monde par l’“Orkesterjournalen” (Suède). Et ce n’était pas trop exagéré, tant leur nombre d’instruments était varié, du plus sophistiqué au plus rudimentaire, en passant par la voix ou de simples accessoires de cuisine, avec pour lier toutes les recettes musicales un talent fou… Eh bien, ils nous revinrent en ce début d’année sous le nom de L’Orphéon, avec beaucoup de nouveautés et de trouvailles, et une bonne humeur et un humour à mettre entre parenthèses, le temps d’un concert, tous ces événements dramatiques, humains ou naturels, qui agressent et endeuillent actuellement notre planète bleue... Aux côtés d’Emmanuel, donc : Christian Ponard et Patrick Perrin (lequel disparaît parfois derrière son gros soubassophone), des pros de la bonne humeur. Que dire des trois compères ? Rien d’autre ! Ils sont tellement à l’aise, avec leurs divers instruments et un plaisir évident de jouer et de nous amuser, qu’ils font partager sans mal leur bien-être, parodiant là Charlie Parker ou Miles Davis, là (plus surprenant) Claude Debussy, rendant hommage au passage au grand Duke Ellington, avec son Caravan ou plutôt un camping-caravan adapté, bien sûr, à notre exotisme hexagonal, ou encore à Sidney Bechet, avec un morceau qui est loin d’être des plus connus, et pour lequel, dixit Emmanuel, “cela vaut peut-être mieux, car personne ne pourrait le reconnaître”… Ainsi, le public fut-il conquis, participant à la dérision ou à la rencontre imagée d’un Zorro ou d’un Quasimodo, pouffant de rire sous les intonations tristes à fendre l’âme de l’interprétation de Et youpi le Jazz. “Qu’est-ce qu’on s’marre !” clament Emmanuel et ses compères… Mais le rire est dans la salle, et cela fait du bien. Même l’évocation de la genèse du groupe est une suite désopilante évoquant la jeunesse des trois garnements d’hier : y apparaissent quelques instruments improbables, comme celui à base d’un cageot à légumes, pourvu d’une manivelle (dite “chignole à concerto”), capable d’interpréter Jeux Interdits, ou des manières de jouer originales comme ce Banjo fastoche, à quatre et six mains… Le final, celui qui précéda les bis, posa à une heure des plus tardives une question fondamentale pour tous, musiciens et organisateurs de la soirée : C’est kiki… “C’est qui ? c’est qui, qui va ?… C’est qui, qui va ranger le matériel ?… C’est kiki” ! Mais peu importe : ce fut festif, là encore. Vive donc le Jazz “cartoon” de L’Orphéon !


MANOUCHE 12 février 2004

Paraphrasant un classique, on aurait pu dire : “Ils vinrent quartette, ils terminèrent sextette”. Mais n’anticipons pas. Ce quartette manouche fut constitué tout exprès pour la Cave du Jazz par Jean-Pierre Vincent, vous savez, ce clarinettiste qui amarra sa péniche, il y a longtemps déjà pour n’en plus repartir, à Samois-sur-Seine, non loin de cette île, “berceau” du grand festival Django Reinhardt, pour épouser à la fois une samoisienne et le jazz manouche. Il nous avait déjà ravi à la Cave de Nanteau, et il lui tardait de revenir et retrouver un public qui l’avait conquit et qu’il avait aimé. Nous le pressentions, mais le choix de cette soirée fut vraiment superbe de talents, avec la guitare solo de Pierre Barré, dit “Kamlo”, la contrebasse souvent elle-aussi en solo de Claude Mouton et la guitare rythmique de Franck Winterstein… Un mariage de cuivre et de cordes, à l’unisson de la dextérité et de l’émotion, sur des mélodies qui chantent dans la tête de chacun… On aurait pu craindre du superbe Nuages de Django, trop souvent joué et rarement à la hauteur du jeu de l’artiste. Là il fut sublime, léger, aérien, délicatement évoqué à son apparition puis plus marqué à son passage par la guitare de Kamlo. On laisse glisser l’imagination, tandis que les notes se détachent et mélodisent dans une pureté qui a la finesse du vent léger et l’éclat discret des gouttes d’eau… Reprise à la clarinette de Jean-Pierre, empreinte d’une certaine tendresse, tandis que les notes plus graves de la contrebasse de Claude, à l’archet, donnent ses couleurs à la vision. Quelle sensibilité de tous ! Tant qu’on hésite presque à applaudir, au changement des solos, de peur de rompre l’harmonie… Et tout le concert sera de cette qualité. Mais si je voulais choisir un souvenir, pour le conserver, ce serait bien celui de Claude et de sa contrebasse, d’une silhouette longue et sombre qui se fond presque avec l’instrument, en épouse la forme, l’image d’un couple en symbiose où l’un caresse l’autre : volupté du touché de l’archet, frémissements du parcours de mains vagabondes… Claude avait remplacé au pied levé la violoniste Mathilde Febrer, partie en tournée avec Henri Salvador. On aurait pu craindre l’absence de cette sensibilité, mais l’émotion était au rendez-vous. Et puis le quartette devint sextette. Surgissant du public, Michel Duverger et son saxe, Freddy Legendre et sa contrebasse… Un final brillant auquel chacun fut sensible, à n’en pas douter…


MARC THOMAS 5 mars 2005

À l’affiche d’une soirée hivernale, neigeuse et porteuse d’inquiétudes envers des routes que l’on pouvait imaginer verglacer dans la nuit ou au petit matin, Marc Thomas, l’une des grandes voix masculines du jazz actuel, à l’égal de celle de Manda Djinn, initialement prévue, mais quelque part en tournée... Et en raison des conditions météo, ce fut un concert plus intime qui fut proposé au public, celui venu braver les incertitudes, mais récompensé par la qualité du quartet, de ces musiciens mêmes qui devaient accompagner la chanteuse américaine : Christian Brun à la guitare, Nicholas Rageaud à la basse et Bruno Zirelli à la batterie… Au centre du trio, la présence décontractée et talentueuse de Marc, crooner ou scatteur, à la voix chaude et maîtrisée… Une silhouette élancée, sobre et sombre comme celle d’un clergyman, dont on aurait pu attendre l’interprétation de gospels… Mais ce fut du jazz, la petite croix imaginée au revers du veston étant remplacée par la figurine d’un petit dromadaire, du jazz à l’image de la monture rouge de lunettes teintées et à l’unisson de la même couleur d’une pochette discrète… Un Jazz d’interprétation plus moderne qui revisita nombre de standards, comme Caravan, All of You, Route 66, Night and Day, sans oublier La Javanaise… et où les instruments, avec délicatesse et retenue accompagnèrent superbement la voix et ses modulations, la mettant en valeur, sachant rester en retrait sans nuire à leurs propres brios et trouvant exultation dans leurs solos… Il y eut de superbes dialogues, entre cordes vocales et cordes instrumentales, mais aussi entre guitare et sax (Marc ayant d’autres cordes à son arc), tandis que batterie et basse rythmaient l’émotion avec subtilité. Une soirée à goûter comme un verre de bon vin, avec la délectation qui se doit et, comme aurait dit Baudelaire, dans une ambiance de “luxe, calme et volupté”.


Katcheté 9 avril 2005

Un samedi bien rempli pour Jazzy 77 que celui du 9 Avril, puisque la matinée fut consacrée à l’enregistrement d’un tout jeune groupe de rock, très prometteur : “The Redlight District” un quintette, avec des prénoms à retenir, tels Leslie, Axel, Marius, Cécile et William, car porteurs d’un réel talent. À suivre donc !…… Quant à la soirée, froide et venteuse au-dehors, c’est le combo “Katcheté” qui l’anima et la transforma. Inutile d’insister sur le fait que cela démarra fort, sous la rythmique vivante, chaleureuse et colorée des bongos, timbales et congas. Pas moins de dix musiciens sur scène, pour lesquels il fallut prévoir un aménagement scénique spécial. Place, donc, à la salsa, une “salsa muy caliente”, interprétée tant à la voix qu’aux instruments et faisant s’alterner les mambos, rumbas et rythmes caraïbéens, avec des musiciens animés de la même ferveur communicative : là encore, des prénoms à retenir, comme David (chant), Gaël (saxophone ténor), Philippe (saxophone alto), Pierre-Marie (flûte), Emmanuel (trompette), Martial (piano), Sébastien (basse), Tristan (bongos), Guy (timbales) et Julien (congas) ; sans oublier deux invités de dernière minute, Jaffar et Faysal, qui délaissèrent à maintes reprises la lumière pour rejoindre la pénombre de la salle et se mêler au public, l’invitant à quitter les chaises pour venir au plus près de la scène et partager sur une piste de danse improvisée des sensations et des émotions en contre-jour… Car c’est là une musique aux séquences souvent répétitives, faite pour que le corps exulte sa vitalité, et sa sensualité. Et comment résister longtemps aux mélodies et rythmes qui appellent le mouvement ? Une soirée que beaucoup conserveront longtemps en mémoire.


Olivier Franc 7 mail 2005

La véritable tête d’affiche de la soirée ne pouvait être là physiquement, ce 7 Mai, à la “Cave du Jazz” de Lorrez, puisqu’il s’agissait de Sidney Bechet, ce grand maître du style New-Orleans ”, celui qui enchanta après guerre les caves de Saint-Germain des Prés ou les terrasses d’Antibes. Mais sa présence spirituelle, compte-tenu du profil des invités, y était garantie, et elle le fut. Il y avait là, pour évoquer ses compositions, tant dans ses périodes américaine que française, Olivier Franc, le grand spécialiste, distingué par l’Académie du Jazz et le Hot Club de France et virtuose du saxo soprano : un musicien en symbiose avec la musique de Sidney, si proche de lui par son jeu brillant mais aussi par sa présence où quelques mimiques ou regards ne sont pas sans rappeler le maître ; Jean-Baptiste Franc, jeune et talentueux pianiste en osmose avec le jeu de son père. Quant à la batterie, nous attendions Robin Calligaris, mais celui-ci, retenu au dernier moment par une grande tournée, se fit remplacer par un certain … Daniel, … Daniel Bechet, oui, le propre fils de Sidney ! Ce fut donc une fête de famille à laquelle furent conviés les spectateurs de la “Cave”, entre amis, (sans oublier la présence discrète de Maïté, la barmaid, qui, enfant, connu bien Sidney, lequel lui offrait souvent des gâteaux lorsqu’il la rencontrait rue d’Hauteville, à Paris, au “Canari” ou chez “Vogue”…). Une grande fête donc, où chaque musicien exprima son tempérament au travers de ces superbes mélodies qui firent le succès de Sidney et qui savent si bien chanter dans les cœurs… Un Passeport to Paradise, donc, pour écouter les dialogues colorés, vifs ou tendres du saxe et du piano, une superbe promenade Dans les rues d’Antibes, On the sunny side of the street, en évoquant quelque Petite Fleur ou encore Les oignons, pour ne citer que quelques morceaux des plus connus qui furent interprétés, sans oublier d’autres standards comme Summertime ou Rose de Picardie, à la sauce Sidney… Un grand moment de volupté musicale où le trio ne put résister à trois rappels qui prolongèrent grandement la soirée. Il y avait aussi dans les spectateurs l’ami François-Xavier Coffre, contrebassiste du “Salamander’s Jazz Band”, qui, avant de participer au dernier rappel, confia sa “grand’mère” à un certain Claude Mouton, également dans la salle, vous savez, celui qui nous avait ravi lors du “Quartette Manouche” de février, toujours en véritable osmose avec son instrument. Un “bœuf” qui participa brillamment à cette fête en souvenir de Bechet, sous la rythmique précise et inspirée de son fils… Cette nuit là, on ne fut pas pressé de rentrer chez soi.


Moréno Quartet le 4 juin 2005

Ils sont arrivés à la salle Sainte-Anne de Lorrez comme s'ils étaient de passage, comme si c'était une simple halte sur la route du plat pays de lumiËre, où ciel et terre se confondent, domaine du gardian et des manades, pour le grand rendez-vous avec Sarah-la-khali. Ils avaient pour tous bagages leurs instruments et la simplicité de gens du voyage, venus partager avec les gadjs, le temps de quelques heures, quelque Èvocation de leurs errances ou de leur sensibilité. Cíest díailleurs sur ce chemin que le grand Moreno (grand par la taille et le talent) a appris à jouer, sous l'influence de Tchan Tchou, son maître, et quíil a grandi dans son art. Et ce n'est pas rien que de l'entendre, avec sa guitare nerveuse et chantante, imprégnée d'intonations tziganes, dessiner des arabesques musicales aux notes pures et vives, puissantes ou modulées, dans des accélérations qui tiennent de l'acrobatie et des vibratos subtils. On n'oubliera pas ce Tiger Rag, (composé véritablement pour un "Lucky Luke" de la guitare), où le musicien joue presque plus vite que les sons. Quelle virtuosité, et tout cela avec le plus grand naturel. Autour de lui, des musiciens qui savent soutenir son jeu brillant. Il y a Stivi Demeter, dont le grand père connut bien Django Reinhardt, et qui est un pro de la "pompe", et Stephan Darot, dit "Pichto", qui en arrière-plan rythme inlassablement à la contrebasse. Peut-être est-il dommage qu'il ne soit pas donné à Stivi plus de solo, parce que lui aussi possède une grande maîtrise de son instrument. Nous n'oublierons pas ce moment où les deux guitaristes offrirent au public, dans un jeu à quatre mains, La Foule que chanta jadis la grande …Edith Piaf. Il est vrai que ces artistes savent tout faire sur leur instrument, ainsi Moréno, accompagnant le médiator du contact subtil d'un simple verre ou modifiant les harmonies avec les clés d'accordage ; un artiste aussi à l'aise dans le chant. Une grande fête de la guitare, donc, où s'ajouta la présence de Marina, dont la voix a des intonations profondes et suaves et qui sait si bien chanter en langue romani, tandis que la guitare du Fils du Vent suspend ses virtuosités pour respecter le chant de sa compagne. Un souffle de liberté, comme celui des vents qui balayent la Camargue, c'est cela la musique de Romano ! Et il suffit de fermer les yeux pour imaginer la nuit d'un grand feu de campement avec, se donnant aux regards dans la lumière mouvante des flammes et le claquement des mains qui scandent le rythme, la silhouette sensuelle d'une jolie danseuse sinti. Alors, pas étonnant que le dernier bis soit réclamé par un public debout !


Denize Loreto le 2 juillet 2005

C’est par la Samba do Aviâo que débuta le concert. Quoi de mieux que l’avion et la voie des airs, pour commencer le voyage vers le Brésil du Nordeste, en compagnie de l’une des meilleures représentantes de cette musique expressive jazzy, Denize Loreto, qui fait merveille pour vous emporter au travers de rythmes qui invitent à la danse, bossa nova, baiaio, forro, samba, chorinho… Denize, c’est un cas à part dans la musique brésilienne. Elle en épouse les rythmes et la couleur, mais de sa voix légère et fluide, aux intonations subtiles et chaude, qu’imprègnent sensualité et saudade, elle propose un répertoire très personnel, tant au niveau d’une interprétation originale des standards que par celle de créations personnelles, s’accordant à merveille avec les arrangements élaborés du violoniste Pascal-Edouard Morrow, musicien virtuose et très éclectique, autant à l’aise au violon et à la mandoline dans les musiques latines que dans celles balkaniques et même orientales (n’accompagne-t-il pas la grande chanteuse d’origine arménienne Yerso ?). Soirée de grande qualité, donc, où parfois se noue une alliance originale telle que brésilienne et celtique, comme dans Carolina, de Pascal et Denize, ou encore tzigane… Alliance surprenante, encore, comme celle du berimbau brésilien et du tabla indien… Avec en accompagnement des musiciens de talent et très à l’aise dans cette grande richesse instrumentale et mélodique : ainsi Jean-Philippe Claverie, à la guitare, et Pedro Estrada aux percussions. Sans oublier l’intervention en fin de soirée de notre ami Patrice Villain, à la guitare, capable d’épouser une musique à laquelle il n’est pas familier et d’improviser superbement, en parfaite harmonie. Au dernier morceau bissé, Coraçaô Baten, le cœur du public battit un peu plus fort encore, saluant debout le beau morceau de Jackson do Pandeiro. A bientôt, le Loreto Quartet !


Fidgety Feet le 3 septembre 2005

Down the south coast... Curieuse ambiance, où l’émotion était à fleur des cœurs, au début de ce concert “new orleans”, mené par Jean-Marie Hurel et sa “band”… Il est vrai que si à la tiédeur de la soirée du bocage lorrezien trouvait une certaine correspondance avec la moiteur du delta du Mississippi, berceau du jazz, il s’y ajoutait la grande meurtrissure laissée par le Katrina hurricane, vibrante d’actualité et porteuse de détresse. Pour les amoureux du jazz, celle du “carré français” de la Nouvelle-Orléans, avec « ses petites rues pavées pleines d’échos jazzys et de fumets de cuisines créoles », là où Jean-Marie se ressource régulièrement, lieu d’amitiés et de vibrations, le ressenti était intense, avec l’interrogation sur ce qu’il était advenu des amis musiciens… Le Fidgety Jazz Band était prêt à recueillir des dons pour les aider… Un concert donc dédié au grand sud meurtri avec, autour du leader et de sa trompette, sous la rythmique de Bob Garcia (le plus grand banjoïste au monde auteur de polars), de Laurent Souques à la contrebasse à table de carbone et d’Émilien Legendre à la batterie, les soufflants de Frank Warscotte aux saxe ténor et clarinette et Paddy Sherlock au chant et au trombone … Il faut dire que le blues inévitable des pensées céda vite, - parce que le public de la Cave du Jazz est ainsi, réceptif et chaleureux -, au plaisir du partage d’une musique des profondeurs de l’âme qui se voulait, à ses débuts, l’antidote à la morosité d’une existence de souffrance et sans grande espérance… “Une musique qu’il faut interpréter sérieusement, mais sans se prendre au sérieux”, comme le rappela Jean-Marie… Et c’est ce qui donne toute sa spontanéité et sa vérité à ce Jazz des débuts, permanence d’un hymne à la résistance et à la vie. D’autres musiciens se joignirent au groupe : le tromboniste Freddy Legendre (le père d’Émilien) et le trompettiste Eric Toulis… Un festival musical, conjuguant talent et inspiration, avec des duos mémorables entre trompettes ou saxophones… On n’oubliera pas le dernier morceau (enfin presque le dernier) où les soufflants quittèrent la scène et firent parade dans la salle, sous les applaudissements du public, debout. Et Jean-Marie, qui se refusait à terminer le concert avec le traditionnel “What a wonderful world !” du grand Armstrong, jugé hors de circonstance, dût renoncer à son choix devant les bis… Car c’était là, finalement, un véritable hommage au souvenir de ceux qui, down the south coast, vivaient le drame.


Sopa / Patry le 22 octobre 2005

Sopa / Patry, Patry / Sopa, c’est la rencontre improbable de deux musiciens en marge de la traditionnelle harmonie du jazz, avec des instruments hier peu appréciés en regard de l’orchestration “classique” : l’orgue Hammond, piano du “pauvre” aux États Unis, créé au début des années 30, qui supplanta par son bas prix nombre d’orgues à tuyaux dans les églises noires américaines, et l’accordéon, piano du “pauvre” chez nous !… Mais voilà, la rencontre eut lieu, suggérée un soir de cabaret au Caveau des Oubliettes par le président de Jazzy 77, Alain Bois, émerveillé par le talent des deux interprètes et par la concordance originale des sonorités spéciales de leurs instruments. Il faut dire que si l’orgue Hammond reste marginal dans les groupes jazzy, il répond parfaitement à la rythmique du jazz, avec un phrasé caractéristique porté par des vibratos de sons brillants ou veloutés incomparables, des sonorités aériennes, et qui fut adopté par nombre de musiciens noirs, tels Jimmy Smith, Bill Doggett, Eddie Louiss, Rhoda Scott, et surtout Lou Bennett, qui contribua à son introduction en France. Quant à l’accordéon, son image est liée, bien à tord, au seul musette. Rencontre improbable, donc, mais où l’on se rendit compte, très vite, que le duo de la soirée ne serait pas un duo ponctuel créé pour l’occasion, leur connivence était grande. Avec un jeu, de l’un et de l’autre, alternant les fortissimos et des instants délicatement exprimés, pour traduire des compositions originales dédiées à Anaé, la fille de Stéfan, et à Julie, la toute nouvelle née, celle de René. Virtuosité et sensualité au rendez-vous, pour évoquer Duke Ellington, Jimmy Smith, Miles Davis, John Coltran, ou encore Serge Gainsbourg ou Francis Lemarque. Une soirée qui restera dans les mémoires de la Cave du Jazz.



Classic Jazz Connection le 20 novembre 2005

Nous l’avions apprécié au travers du groupe “Cotton Club”, qui s’était produit en décembre 2003 à l’Auberge de la Vallée de Nanteau-sur-Lunain. Il nous est revenu à la tête d’un trio swing dixieland, ajoutant à ses soufflants, clarinette et saxophones, le piano “stride” de Patrick Richard, et la batterie experte d’Olivier Michaud, vous savez, celui dont la silhouette disparaît presque dans son instrument lorsqu’il conduit le soubassophone de “Cotton Club”. Nous les savions des pros du Jazz, notre souvenir et leur expérience le confirmant, mais cette soirée montra quelque chose en plus, à vrai dire indéfinissable, mais que l’on pourrait relier à la fois au talent de chacun et à l’osmose de l’ensemble. Ce fut donc un ravissement que de les entendre, sous une maîtrise sensible et chaleureuse de la clarinette ou des saxs, dans la dextérité nuancée du piano, et le jeu élaboré de la batterie, riche de subtilités, et nous n’imaginions pas Olivier être un tel jongleur de sons. Tous à leur meilleur niveau, donc, pour interpréter Sidney Bechet, Fats Waler, George Gerswing, Charlie Parker, Louis Armstrong, Lester Young,… Ce qui nous touche est aussi la perception du plaisir qu’ils ont de jouer ensemble, de bien jouer, avec la plus grande connivence. Et cela, le public le ressent immédiatement. L’échange à lieu entre plaisir de jouer et plaisir d’écouter. Et c’est formidable. Le point d’orgue, mais il y en eu plusieurs, comme peut-être Summertime ou d’autres grands standards que l’on aime, fut la “minute culturelle” qu’annonça Pascal, avec l’interprétation d’un extrait du “Lac des Cygnes”, de Piotr Ilitch Tchaïkovski, intelligente et inspirée, le passage du classique au jazz s’opérant dans la plus grande harmonie. Superbe ! Merci, messieurs, de cette soirée de bonheur.



Cisco Herzhaft Quartet le 17 décembre 2005

La légende rapporte qu’un jour, sur la old Blues Highway (c’est-à-dire la route 61 qui relie la Louisiane au Minnesota), à Clarksdale précisemment, dans le Mississippi, à la jonction de la Highway 49, Robert Johnson, le grand bluesman, rencontra le diable. C’était à l’époque de la violence raciste du Ku Klux Klan, avec en toile de fond la grande dépression américaine et la prohibition sur les alcools qui fit la richesse d’un Al Capone. Et c’est là que le “mécréant” Robert Johnson aurait vendu son âme au diable, en échange de la magie salvatrice du blues. “Me and the Devil Blues”, chanta-t-il plus tart. En tout cas, c’est là-bas, down the south coast, que Cisco Herzhaft, à n’en pas douter, le rencontra sans doute lui aussi, tant son authenticité est grande dans l’expression de cette musique de la survie qui exprimait la dure condition des noirs, colorée de tant d’influences : africaines, caribéennes, irlandaises… Notre homme eut d’autres rencontres, il est vrai , comme celle de John James, qui lui fit découvrir le fingerpicking, ou encore Fred MacDowell, qui lui enseigna l’art du bottleneck. Des noms étranges, car leurs effets s’écoutent plus qu’ils ne s’expliquent, car exprimant trop, sous le doigté expert de la guitare ou du dobro, l’atmosphère du grand sud, - son âme. Il est magicien, Cisco, et il est entouré de musiciens en osmose avec son talent. Il y a là David Herzhaft, le neveu, avec ses harmonicas qui chantent en virtuose et accompagnent si bien la voix chaude et un peu cassée du maître ; et puis les deux autres compères, Bernard Brimeur, à la contrebasse, Patrick Cassotti, à la batterie, dans une rythmique efficace et insistante qui vous transporte durant quelques heures bien loin du Boccage gâtinais. Et peu importe si l’on saisit peu ou prou les paroles du chanteur, la compréhension est là, éclairée par les anecdotes. Et le voyage, ponctué d’une surprenante et inattendue interprétation de notre “Marseillaise” en ragtime et de l’évocation du “Pénitencier” cher à Halyday, mais dans la version originale, vous conduit du pays cajun au Pacifique… Une soirée qu’il fut difficile de conclure pour le quartet, tant le public était ravi par les subtilités chromatiques de l’harmonica ou les sonorités folksong de la guitare et celles hawaïennes du dobro. Il fallut composer, et le “Ce n’est qu’un au-revoir, mes frères”, prévu comme final, dût cèder à deux rappels sous les applaudissements nourris.