Le dernier concert c'était comment ?
Helena est une conteuse et son inspiration c'est son pays, son village perché en Équateur avec ses joies mais aussi ses douleurs, une musique toute en nuance ou le plaisir de jouer pour et avec le public est bien palpable, l'énergie et la présence d'Helena et sa basse chaleureuse, emmène, mais ne domine pas, bien au contraire, et laisse toute sa place à Claire et son jeu de piano précis, limpide et coloré, à Philippe et ses multiples saxo qui nous emmène dans son monde virtuose tout en suivant les traces du chemin de la montagne, à Abraham qui tel un chat se promène sur sa batterie et attrape avec une extrême dextérité les sons qui passent.
Ils ont réussi aussi et ce n'est pas un mince exploit à, progressivement, faire chanter le public assis puis debout telle une chorale improvisée et tant qu'à être debout pourquoi ne pas aussi danser.
Une très belle soirée, merci à vous.
Émilie HÉDOU Trio
Septembre 2021
Émilie HÉDOU trio ou La grâce sans gravité
Début d’Automne...Après un an et demi de silence, celui du virulant virus, La cave du Jazz revient timidement à la charge. Les gestes sont désappris, le dépaysement bien présent. C’est le trio d'Émilie HÉDOU qui essuie les plâtres. Contrecarrer ce curieux décalage et le crachin gris de ce mois de Septembre voilà leur mission. Et quoi de mieux que la passion des voix afro-américaines, des reprises du répertoire de Nina Simone, Janis Joplin, Chuck Berry, Tom Waits ou Etta James, dans l’écrin rouge-rubis de la scène du Lorrez-le Bocage, pour nous faire oublier le prosaïsme mort couché des saisons, en somme le terrible comme bien pauvre réel.
C’est le rôle de la musique qui est ici voyage identitaire, et du petit théâtre, conscience de la dimension de ses corps. L’habit est vintage, la connaissance de soi burlesque. Chaleureuse est la connivence de ceux qui se connaissent depuis l’enfance. Les instruments suivent le sentiment et savent ménager la chèvre et le chou: le trio saura amener par le silence imposé de certaines introductions une joliesse instrumentale souvent due à la guitare lead extrêmement fine et délicate de Nicolas Bamplain et la voix blues gospel chaude à la tessiture largement expressive d’Emilie Hédou. Central, le contrebassiste au slapping envoûtant, son instrument blanchi de collages, Brahim Haiouani se chargera aussi d’être leur ensoleillement de bons mots. Qu'aimable est la comédie que la grâce environne! La grâce sans la gravité, ni plus ni moins, l’agrément du charme, de la vénusté si on oublie ce qui se masque sous l’anglophonie du blues, de la soul et du jazz. Mais le burlesque prendra progressivement le pas lors du deuxième set pour la plus grande joie participative d’un public modeste mais fervent. Oui… Incommune est la grâce que la comédie environne!
Encore une fois, ce qui nous a été proposé ce soir se défini bien comme l’art du bonheur mais avec une énergie chienne et blonde, loin de l’église qui jouxte la salle St-Anne dont le groupe se moquera en stigmatisant avec amusement cruel la réverbération de leurs propres micros. Elle boira aussi directement son vin rouge, bien meilleur pour sa voix. So what… See her bluesy song.
Fletcher Christian le 26/09/2021
Nous passons directement au concert d'août 2021 et pour cause : aucun concert entre les deux (c'est long !) C'est donc avec plaisir que nous retrouvons le festival avec cette année la grande et belle voix de Leslie, chaleur et swing au rendez-vous formidablement accompagnée par ses musiciens au jeu subtil et très efficace, sur la grande scène avec le soleil cette fois.
Pocket Brass Band au festival du "TI-COIN" à Thomery
Aôut 2020
Pour une première collaboration avec l'association "Pas trop loing de la seine" qui organise le festival du bon coin, ce n'était pas gagné : restriction du nombre de places à 300 personnes et une météo plus que capricieuse. Et pourtant la magie a opéré, une très belle ambiance détendue grâce à une équipe de bénévoles extraordinaire et hyper réactive quand il faut tout déplacer et ré-installer sous le chapiteau pour cause de pluie battante, bref le lieu idéal pour le Pocket brass band que la cave du jazz avait invité au festival, ils sont intervenus à l'ouverture et dans les intermèdes d'installations mettant de suite les arrivant dans la fête, avec une énergie et un tel plaisir de jouer que personne ne pouvait rester indifférent, sous le chapiteau samedi soir ils ont mis le feu avec le saxo sur une table bien appuyé par la section rythmique et en dialogue permanent avec la trompette bref du grand art (de rue) qui colle parfaitement avec l'esprit de ce festival.
Nous ne manquerons pas le prochain épisode.
Régulièrement, nous rappelons à notre bon souvenir des groupes que nous suivons depuis très longtemps, il s’agit un peu comme pour les bons vins d'en apprécier la robe le fruité et la présence en bouche après une longue maturation. Cisco cela fait 15 ans et on peut dire qu’il a fait l'unanimité avec une surprise en la personne d'un pianiste : Fabrice EURLY un grand spécialiste du woogie boogie avec son vieux Wurlitzer des années 50 qui a réellement apporté une autre dimension avec ses accords et solis décalés, ses nappes quasiment planantes et une réactivité à toute épreuve, Sans oublier Bernard BRIMEUR à la contrebasse (un autre grand habitué de la cave) et sa main droite de félin qui donne l'impression de danser sur les cordes, le tout trés bien bordé par Cisco, son Dobro et ses histoires à la oncle CISCO, qui maîtrise cet art difficile, toujours avec humour. Bref de la très bonne musique mais, pas que et c’est justement ce "pas que" qui fait les grandes soirées à la cave du jazz.
Rémi Fassido
Paddy Sherlock quartet, simply cool
Coolin Live Night ! : L'espace d'un soir La Cave du Jazz est devenue un au lieu, loin de l'intellectualité de St-Germain des prés au plus proche des clubs ou des pubs populaires. Le Paddy Sherlock quartet a investi, tranquillement, Lorrez le Bocage avec la classe qui le caractérise pour célébrer l'union entre le swing, le new Orleans et...le folk irlandais ! « Pour moi, le jazz est une musique du monde, une musique folk », voilà la devise qui n'est pas une formule tellement elle recouvre un éclectisme assumé, difficilement étiquetable, loin de tout radicalisme. Tout en feeling et souplesse, félin et danseur le Paddy Sherlock quartet ne se raidira pas dans ses positions, il est swing c'est a dire un genre devenu depuis longtemps universel.
ET c'est cette universalité que vise Paddy Sherlock jusque dans son particularisme culturel. Car dublinois d'origine il fait sien les propos de Jean Renoir ; on ne pourra toucher l'universel que par le particulier. Rien de régional, de conservateur pourtant mais pas de place non plus au voyage, à l'autobiographie, mais un aveu furtif « Sans cette musique et ce poète irlandais je ne serais pas ici » Musique du monde certes mais non démonstrative, non pédagogique….on ne saura jamais ce qu'est venu faire ce dublinois en France, jouer avec des français sa musique volontairement mêlée. Seule la musique répondra à ce mystère et sa propension à déclencher l'émotion par son entertainment impressionniste (par là on comprendra un divertissement par un spectacle fabriqué irréprochable et encore une fois universel …) se mouvant dans le swing si on ne le précise toutefois pas seulement comme du jazz. Il contient certes, plusieurs éléments de celui-ci, mais il est également une combinaison de musique dansante et de chansons connues.
Mais qu'est-ce qu'une reprise ? Comment la légitime-t-on ?C'est seulement après une première partie de set entièrement dédiée aux compositions personnelles du leader assumé du quartet qu'elle advient. Et ce sera pour un ami musicien décédé l'année dernière. Aucune tristesse ni affectation, le morceau sera tout aussi enlevé que les autres. Voilà le premier sens des circulations d'influences, l'hommage aux morts qui se doivent plus vivants que les vivants. Suivront un plus grand nombre de standards à partir de cette situation première. Le swing y contiendra toutes les influences de Paddy Sherlock, il les feront danser avec beaucoup d'accentuation sur le rythme. Témoin l'aisance aérienne avec laquelle il reprendra Dirty old town, chanson folk popularisé par les groupes irlandais des Dubliners et des Pogues mais à l'origine provenue de la ville de Salford en Angleterre !
La légèreté, voilà le mot d'ordre s'il en est un : pas celle du consommateur mais celle de l'artiste qui « danse dans ses chaînes » comme a pu le dire brillamment Nietzsche, la légèreté issus de la maîtrise, et celle surhumaine du rire, ou du sourire. Car encore une fois à La Cave du Jazz on prend le parti de définir le jazz comme un art du bonheur. Paddy Sherlock ne s'embarrassera pas avec l'existence, la lourdeur tripale, l'affectation, il chante Manon en français , les femmes et l'amour… Paddy Sherlock impose son chant mais se cache aussi étrangement derrière l'extrémité circulaire de son trombone new orleans. C'est que la musique populaire ne supporte pas l'individualisme et rappelle vite ses virtuoses au collectif.
Mais place au chant donc ! Ce dont on nous avait peu très peu habitué à la Cave du Jazz. Et pareillement nous avons à faire à une voix inclassable, ni voilée, ni gutturale mais bien irlandaise si l'Irlande avait préféré la limonade à la bière ! Pour Paddy Sherlock rétif à tout communautarisme et préfère le côté bon enfant du tout pour tous, ce sont les autres qui boivent lui se contentera de nous faire ressentir l'atmosphère des clubs et des pubs et cette fenêtre en fin de nuit que l'on ouvrira. Très certainement cet air frais de fin de set ont dû être ressenti par le public et les bénévoles de la Cave du Jazz puisque après un boogie-woogie interpellant les prémisses du rock tous se sont levés pour une ovation méritée, celle de véritable amateurs pour une musique populaire exigeante. Paddy Sherlock en ces temps troublés d'inquiétudes mortifères ont apporté un vrai « Cool fresh air« à l'image de ce qu'ils sont : simply cool.
Fletcher Christian le 15 Décembre 2019
Miguel GOMEZ
Novembre 2019
Miguel Gomez y los compadres de la salsa, un art doublement accompli.
L'heure était aux retrouvailles avec la salsa : après le grand succès de la première session il fallait enfoncer ce joli clou. Comme le dirait le philosophe on peut répéter deux fois histoire de se faire bien comprendre. Plus fataliste le littérateur nous préviendra qu'il n'y a pas de deuxième chance. Miguel Gomez y los compadres de la salsa n'en ont cure, professionnels et érudits du divertissement comme ils le sont. Pendant les balances ils s'autoproclament amuseurs et amusés par leur propre pratique bien avant qu'un très nombreux public ne viennent leur donner raison. Et c'est toute la cave du Jazz qui s'en retrouve familialement soudée, charmée par l'humour, les confidences, l'écoute des travaux parallèles des musiciens qui généreusement font part d'une vie artistique multiple aux passionnés bénévoles savourant l'humour contagieux et le succès prochain d'une salle comble.
C'est qu'il ne s'agit pas ici d'une simple histoire géographique de la salsa représentée ici par les origines diverses des musiciens, histoire didactique dont par auto-dérision ils se moquent volontiers. Très intelligemment on ira crescendo mais on se surprendra à des morceaux plus lents véritables ellipses instrumentales témoin cette reprise ambitieuse de compay segundo, déconstruite, étirée, ambiancée. On s'attendait à danser, la salle était prête en conséquences, on se retrouve à plaisir et pianissimo à méditer avant de reprendre le cours des choses qui sont joie, générosité, sens du partage.
C'est que Miguel Gomez, au discret leadership et surtout son bras droit cuchi almeida, l'homme orchestre ne se prennent pas au sérieux : après avoir assumé la culture, le swing, la mémoire de quarante ans de musique latine en commun ils donnent de bon gré au monde se qu'il désire : après deux rappels c'est en demandant au public de s'approcher, tous debout devant la scène, qu'ils changeront de registre : faire plaisir demande aussi une certaine modestie et communier exige de l'empathie au corps et au désir de l'autre ; on finira donc comme en oubliant l'ambitieuse première partie par un melting pot de tubes et standards remise ingénument à la sauce américaine et c'est le sourire aux lèvres que les auditeurs conquis, compris dans leurs attentes les plus simples, gratifieront ses excellents musiciens de longs remerciements sonores.
C'est bien le tour de force de Miguel et ses compagnons d'avoir sût distiller une forte confiance, un sourire communicatif soudant chacune des parties qui font le rouage d'un petit spectacle de musique populaire exigeante : un public connaisseur, joyeux de communier, des bénévoles de la cave du jazz heureux de leur action collective et des musiciens qui en conséquence se congratuleront : " Nous avons fait du beau travail " . Une deuxième fois, ce pourrait être périlleux, répétitif et donc déceptif. Par la qualité des trois parties ensembles, ce fût un véritable accomplissement.
Fletcher Christian le 17 Novembre 2019
Collectif Swing
Octobre 2019
Ce samedi 19 octobre triste et pluvieux a trouvé la parade à la morosité avec le Collectif Swing.
Dès l’intro, carrément psychédélique, le ton est donné, ce sera différent, le code manouche n’est pas cassé mais ré-arrangé à leur sauce qui est chaude, goûteuse, de très belle facture et avec une telle joie du partage, de bonne humeur qu’ils peuvent se permettre tout les arrangements et même les clins d’œils, comme, intégrer dans un solo : au clair de la lune, la mélodie des klaxons italiens des années 70, la musique du parrain et j’en passe, chaque blague lancée est aussitôt reprise et intégrée pas les autres toujours en attente de ce qui peut leur tomber sur la tête. Simba Baumgartner au milieu de cette joyeuse bande, imperturbable trouve sa place avec son jeu extraordinaire de clarté et d’inventivité. Tous sont là pour le plaisir de jouer, expérimenter, se planter parfois mais avec un tel naturel que le public y trouve son compte et au final leur offrira une standing ovation. En quittant la salle nous entendons des remerciements du public pour cette bonne dose de vitamine.
Bref une très belle soirée à l’image de la cave du jazz.
Alexis VALET Quintet
Septembre 2019
Alexis Valet quintet, jouer sans bruit
Des jeunes gens, moyenne d'âge une petite trentaine d'années, se sont invités et impertinemment imposés à la Cave du Jazz pour la première salve de la nouvelle année. Un album en poche présenté en avant-première et un instrument leader peu habitué, le vibraphone à la sonorité aussi bien chaude que froide. C'est peut dire que ce quintet étonne par leur maturité, alternant les morceaux rapides et les plus lents, tous composés par Alexis Valet, d'une très grande qualité de synesthésie, cette valeur sonore toute en rondeur et pour leur cas en prise directe. Elle n'est pas à proprement parlé visuelle, cinématographique (leur musique ne servira jamais de bande-son) mais engage d'autres arts, le théâtre, les arts plastiques et même pourquoi pas une certaine saveur de goût et de parfum.
Si on leur prête une application plus grande aux morceaux lents - qui d'après leur dire sont les plus soulignés dans l'album - les plus enlevés, à la prestance d'ensemble et au métier tout en connivences, engageront notre modeste préférence. Le plus simplement présentés, c'est de par leur brio, pourtant aux titres très prosaïques, qu'ils emportent l'adhésion. Soutenu par un batteur habité derrière sa cymbale, soucieux d'être constamment à l'écoute, c'est l'ensemble du quintet qui, sans jamais empiéter sur son partenaire emporteront de par la vitesse d'exécution de l'escrime, avec l'électricité cérébrale et la célérité de la main, les barrières de la retenue qu'ils semblent pourtant souhaiter : un morceau dira tout de leur rapport à la maîtrise, « quatre pintes », la quantité d'alcool qui conviendrait à leur réunion amicale (tous les cinq ont enregistrer l'album) avant de perdre mémoire, contrôle et moyen.
Nous sommes à la proximité de ce qui outrepasse l'ascendance mais aussi de ce qui idéalise : un morceau indolent, plus atmosphérique que les autres, centrifugera le concert. Alexis Valet le qualifiera de simple introduction à ce qu'ils ne sauraient de toute façon pas instrumentaliser. Un morceau injouable et donc seulement abordé c'est le monde alors qui est conquis. Quelques fois manquant soudainement de souffle, épuisé par son propre engagement, Alexis Valet s'écroule, s'arrête, distant, amène au jeu de ses collègues, avant de reprendre par ses quatre baguettes, le contrôle des opérations qui est l'horlogerie virtuose qui jamais ne bruit.
Fletcher Christian
Belisaire ou la salle de danse mentale
Pour sa dernière de l’année, La cave du jazz invitait la musique cajun à la volonté dansante affirmée. C’est le groupe Belisaire créé depuis 1994 qui s’est chargé de nous apprendre l’origine de la musique country, la naissance d’une région, La Louisiane et ses migrations canadiennes et françaises. Musique populaire complexe : tout bouge, migre, les différences et les genres s’espacent pour se définir par des limites indiscernables et Belisaire laissera ainsi une grande place au zydeco noir .
Mais ce sont des musiciens résidents des Yvelines et de Nanterre qui se sont chargés de nous transmettre leur passion pour ce monde lointain et passé avec et leur imprégnation culturelle fascine. Le cajun de l’Île de France ...Empathie totale jusque dans la manière humoristique de parler entre les morceaux, ce vieux français transformé par une distance radicale et par le temps nous est retransmit fidèlement par nos contemporains. Cette incarnation interroge. D’où viennent ces musiciens qui se sont imaginairement transposés ? Ce qui n’empêchera pas, hors scène, le discret joueur de triangle de nous conter ses voyages en Amérique pour nous défendre politiquement une autre, celle du travail manuel et des des petites gens. Avec la musique cajun nous avons à faire avec une musique véritablement populaire issus du travail agricole et Bélisaire s’est attaché à nous le faire comprendre en quelques mots explicatifs très visuels parfois puisque la pédagogie était nécessaire. Mais le plus souvent la découverte était frontale et nue, le public butait à cette fidélité à un genre qui ne disait rien de ses traductions ou ses propres inventions. Et c’était cela qui était beau, comment découvrir sans filet une musique que le groupe lui même joue à sa manière puisque il y aurait, de leur propre aveu, de nombreuses façon de la jouer. Fidélité et infidélité s’enlacent devant le public néophyte qui apprend les pas, se familiarise avec ce verbe ancien et décalé, par des passionnés dont nous ne saurons jamais les raisons et les causes d’être devenu aussi acteurs empathiques de leur enthousiasmes...
Belisaire, du nom d’une salle de danse de Louisiane, tirée d’une très ancienne chanson... L’imaginaire mythique en découle : tout est là pour faire jouer l’âme. C’est la poésie flaubertienne du nom propre qui lui parle mais aussi un choix important. Dans Gilda de Charles Vidor, la salle de jeu se cache derrière le miroir, ici ce qui nous est présenté poétiquement et inconsciemment est une salle de danse d’un autre temps. On rêve donc par le nom propre mais on insistera lors du concert à concrétiser cet imaginaire et donc imposer un espace pour les danseurs au devant d’une scène que l’on délaissera. Modestie d’autant plus audible que l’électricité est réduite a son minimum, soucieux d’authenticité et d’humanité. Cette façon là de se concrétiser fait de Belisaire beaucoup plus qu’un groupe folklorique, le travail de l’inconscient devenant vivant. Proche des gens, Bélisaire a commencé son concert par un cours de danse, descendu bas de la scène, sans micro, les voix discrètes malgré la richesse des tons et du vocabulaire laissant place à l’autorité des instruments propre au cajun : le violon, l’accordéon, la guitare sèche, le triangle et le frottoir. Ensuite, une basse et une guitare électriques viendront pourtant trahir cet authenticité et paradoxalement asseoir l’homogénéité du groupe. La valse et une sorte de madison cajun s’éduqueront par deux danseurs, les vrais étoiles du concert, faisant partie intégrante du groupe, avant que le traditionnel concert ne reprennent ses droits. Belisaire remontera donc sur scène dérouler sympathiquement leur passion d’un monde sans doute à jamais perdu sauf sur le plan psychique.
Fletcher Christian, le 16 Juin 2019
Mon oncle d’Amérique
Jean-Michel Huré s’en revient des Amériques où depuis avoir participé aux premiers jours de la Cave du Jazz, il y a vécu, joué, travaillé. Il nous revient avec un groupe vierge de tout spectacle, de toute représentation même si ces musiciens chevronnées se connaissent depuis fort longtemps ; In fine est son nom, ce qui prendrait à contre-pied le sentiment ressenti d’une pensée sur l’origine des premières fois et a fortiori le temps qui passe.
L’exil doré provient des allégeances rêvés depuis l’enfance. Pas de reprises – l’ensemble du groupe participant aux compositions personnelles - mais tout en souvenirs, ce qu’un musicien doit à ses pairs admirés et à un pays fantasmé qu’il est parvenu à gagner géographiquement et professionnellement. Comment un musicien a pu assouvir ses rêves est toujours admirable, pas de regrets, de défaites, mais un accomplissement artistique qui guide une vie et lui donne sens. J’aime ceux qui concrétisent leur rêves et interpellent les amis dans le public pour en rendre compte. Le voyage est ainsi une fidélité à ses admirations et idéaux de jeunesse. Il n’y aura pas de trahison de soi ni même d’oubli, un morceau en fera foi en rappelant aussi l’enfance Nemourienne dans les années 60 du leader d’In fine. Il ne s’agira pourtant pas d’aveu mais du portrait d’un excentrique nommé Mr Chopin, figure de ses peurs anciennes. L’instrument confessera les petites mythomanies de l’enfance.
Pareils seront évoqués le Minnesota et la Californie en quelques mots mais c’est la traduction musicale qui prévaut. « Pourquoi c’est toujours moi qui parle ? » lancera Jean-Michel Huré qui semble plus à l’aise avec son instrument que par la parole. D’une voix mal assurée il entreprendra même de chanter les premiers vers d’Here, there and everywhere, une chanson des Beatles en attendant que son invité en fin de set prépare son saxophone. Tout est dit : les goûts de l’enfance, le rapport mal assuré au chant – plus tôt son pianiste ira même jusqu’à nous préciser malignement le titre d’une de ses compositions, le champs secret, pour intelligemment nous faire penser le chant et son absence - son fantasme peut-être. Et puis c’est l’instrument qui reprend ses droits, c’est avec brio que la guitare parlera et par un simple signe de va-et-vient de la main le concert s’achève par le dialogue instrumental entre les deux musiciens. Le guitariste d’In fine s’est accompli dans sa quête d’un ailleurs mais aussi surtout dans sa propre substitution en son instrument.
Transposé, Jean -Michel Huré est une guitare en fines touches juxtaposées qui contrecarre une auto-définition de leur jazz laissé dans un flou très ironique pour mieux imposer une musique tout en netteté, sans aucun brouillard atmosphérique. Remémorons nous Jean Luc Godard - « Il faut confronter des idées vagues avec des images claires » ou encore De Kooning - « il serait catastrophique de nous définir » - et In fine semble alors de la même famille de pensée. Un jazz inclassable, fruit des goûts de l’enfance et du vécu le plus maturé qui ne laisse pourtant place à aucunes imprécisions.
Fletcher Christian, le 19 Mai 2019
Sébastien TEXIER "Dreamers" Quartet
Avril 2019
Le Dreamers quartet ...et le rêve devint réalité
Le Dreamers quartet, le groupe de Sébastien TEXIER, est venu à la Cave du Jazz avec la plus grande exigence de pensée nous parler exhaustivement de variations sur un même thème, le rêve, par des compositions toutes personnelles. Si les références sont avouées en grand écart - Ornette Coleman en première partie et Paul Motian en deuxième – ils nous gratifierons aussi au beau milieu du concert d'une seule reprise à découvrir mais dont on oubliera la divulgation, un standard mystérieux masqué sous le travail de l'identité.Rêveurs, nous sommes aussi dans l'énigme.
On est surtout proche du concept, de l'idée de base qui aimante les individualités en charge de prendre leur propre liberté de solistes.Opération de respiration, sorte de systole-diastole cardiaque entre l’homogénéité du groupe jouant ensemble et l'écart des soli obligés de la virtuosité jazz.Le poumon du groupe joue ainsi de cette respiration individuelle et collective. Pendant les balances, pareilles, si chaque instrument se vérifie et s'optimise on allongera l'exercice pendant vingts minutes quitte à en oublier l'apéritif des accueillants bénévoles pour encore et toujours jouer ensemble.
Ce plaisir, ce sourire bienveillant du leader qui regarde son groupe jouer sans lui, de côté, tel l’œil du Prince du grand théâtre ou tout aussi bien, même si le Dreamers quartet est plus proche de Cineccita que d'Holywood, comme dans Rio Bravo d'Howard Hawks, comédie musicale sous le masque du western où le chant de Dean Martin couché, rasé, lavé, signifie sa rédemption régénératrice sous l’œil bienveillant du héros sans faiblesses John Wayne. De même, Le Jazz sera un art du bonheur, celui de voir l'autre jouer. Même une marche pour commémorer les attentats contre Charlie Hebdo n'empêchera le batteur de sourire, avide du jeu allègre de son camarade. Pas d'affectation donc même dans le grave.Pendant la répétition c'est le guitariste Pierre Durant qui sautera de scène en s'autoproclamant artiste maudit et criant que « c'est Coltrane qu'on assassine », par un long rire d'extraverti.Peu de place au martyr obligés du Jazz donc mais un grand plaisir qui ne s’embarrasse pas de jouir quand bien même le travail en concert se fait dans le plus grand sérieux.
Car conceptualiser et jouer le rêve, le traduire, en rendre compte musicalement dépassent la création d'un univers ou d'une atmosphère de par une réelle présence sonore et sa très grande amplitude sur nos sens.Le rêve, ici est comme un souhait collectif plutôt qu'une introversion. Pas de nombrilisme chez ces rêveurs, pas de monde intérieur, seulement une grande exigence de pensée, une capacité qu'un auditeur avouera au final à un Sébastien TEXIER ravi : « vous m'avez fait m'envoler ».Car le rêve ne suppose pas le désordre.
Rêver ensemble, une marche, un artiste, l'amitié, le paysage, une qualité de douceur, ce n'est pas de l'étrangeté ou du dépaysement. Rien de psychédélique dans ces rêveurs sinon rendre le souhait le plus concret, le plus vrai comme rêver sait si bien nous tromper par son illusionnisme. Pas d'édulcoration ou de déformation mais au contraire une vraie attention à la qualité des choses qui font du rêve une réalité toute tangible.On pensera au rêve défini par Tarkovski ou Bergman filmé aussi réellement que le récit prosaïque. Ce sont des songes vrais, fait de bois, de cymbale et d'orgue, le parti pris est des plus réalistes. Pas de distorsions mais une qualité de son optimale - frappante et saisissante dès les répétions - qui immanquablement me fait me rappeler la théorie des correspondances chère à Charles Baudelaire.
Par la qualité sonore, rejoindre d'une certaine façon, tons et couleurs, sound and vision, le paradis de la peinture.Ces rêveurs exhaussent leur jazz pour un rêve d'art. En l'occurrence un Paul Cézanne ne serait pas loin, lui dont la touche onctueuse de gris moyen rêvait au milieu de sa vie un éden à lui réservé, lui dont la qualité picturale révélait la « gomme » calorique d'une pomme en saladier si peu comprise par André Breton , le bois d'une table ou le blanc épais d'un drapé pour finir par inventer un paysage comme rimbaldien et avant de mourir, dessiner à l'aquarelle un jardinier tout christique.Voilà à quoi ce quartet de quatre garçons dans le vent du rêve me font penser ; j'accède.au rêve comme une qualité concrète, surréelle, une valeur sonore qui rejoint la touche picturale et fait de tout les soli des plumes au chapeau conceptuel, celui de la pensée du rêve mais aussi du désir mélodique. Le rappel en fin de concert sera comme une ouverture à l'expérimentation « bruitiste », attentive à l'âme des instruments, qui fera s'exclamer, en final, par un président de la Cave du Jazz échevelé, conquis comme tout le public, cette expression très juste : « Il semblerait que le rêve ait dépassé la réalité ! ».
Fletcher Christian, le 14 Avril 2019
Stéphane HUCHARD "Cutisong's" Trio
Mars 2019
Et le Stéphane HUCHARD "Cultisong's trio" s'invita à la Cave du Jazz ! C'était à priori un événement, ça l'est d'autant plus après la très belle performance de ce Samedi 16 Mars. Auréolés de carrières performantes, 'ils nous viennent avec un tout nouvel album off off Bradway. Ils reprennent une ancienne musique au succès planétaire, celle de Broadway.
À trois ou comment se mettre en danger : le trio appelle à une certaine intimité. C'est un pari d'autant plus paradoxal que la référence offerte, ici Broadway, provient de grands orchestres. Partir du spectacle pour comme le refuser, moduler ce qui par individuation il en restera, voilà le projet. Comme ont existé le surréalisme, le sur western hollywoodien, le postmodernisme et tous ses dérivés actuels, ce trio invente le sur Broadway ou le post Broadway qui consiste a brouiller les cartes et pistes du moderne et ce qui est aujourd'hui passé dans l'inconscient collectif ; tout ces standards par eux très ciblés, mais à l'exception de Cole Porter tous à la limite de l'anonymat, seulement présentés par leur seul titre comme s'ils se devaient d'être reconnus, sifflés, claqués du doigts pour mieux pourtant leur imposer un arrangement tout personnel.
Pas de voyage, de tourisme, de pédagogie car nous sommes « dans le pays du jazz » comme me le soufflera à l'oreille, au beau milieu du set, le président de la cave du jazz, comme aux anges. Oui, au creux du pays même. Tout comme par exemple François Truffaut défendra Alfred Hitchcock en arguant du fait que ses lieux touristiques était en fait le pays du seul cinéma, qu'il n'y avait donc pas lieu de lui reprocher leur caractère public, commun. Ainsi soit le pays du jazz dont le propre était à l'époque sa propension collective et son emprise réussie sur notre inconscient, réarrangés ici par des hommes seuls et intempestifs. Ils sont esseulés dans leur amitié élective et leur rapport spécifique à l'instrument..L'hypothèse est : comment à partir des orchestres à succès d'hier on parlerai de l'humain via un instrument jamais vraiment poussé à la virtuosité mais doué du seul talent de la maîtrise et du goût. Quoi de plus humain que cette concentration faite de bois et de silence représenté par le contrebassiste Thomas Bramerie qui tire de son instrument ce qu'il y a de plus spécifique, assez loin des orchestrations originales.
Brouiller les cartes du classique et du moderne c'est déjà pointer l'une des intentions dans Broadway même ;sonner comme une vieille chanson alors qu'elle était tout à fait originale et contemporaine...Se résumant à eux trois, ce beau trio s'arrange de ce trouble et le dépasse par ce qui paraît définir une postmodernité, ce qui succède au succès. Pas d'appel du pied vulgarisateur, Stéphane HUCHARD "Cultisong's trio" ne sont pas des médiateurs chargés de nous faire passer le message de leur attirance musicale afin de profiter de la mémoire de sa mélodie pour une facile réjouissance. L'absence de chant remplacé par l'instrument nous signifie assez bien l'exigence du projet quand bien même le fantôme de Marylin Monroe viendra érotiser leur saxophone. Entreprise rimbaldienne je dirais plutôt ; partir de ces chromos populaires dédaignant le bon goût, pour le Stéphane HUCHARD "Cultisong's trio" la chanson d'amour orchestrée mais comme débarrassée de ses mots, de ce quoi on parle pour en préserver l'essentiel, l'intention amoureuse. Qu'est ce qu'une chanson d'amour sans mots, dont le batteur Stephane Huchard égrènera la banalité des thèmes comme s'il fallait en retenir l'esprit le plus simple, le plus commun ?.La modernité n'est pas seulement rupture et accompagnement d'une époque, c'est aussi ce qui tronque spécifiquement tout en succédant à l'ancien.Une chanson d'amour sans mots c'est pour le Stéphane HUCHARD "Cultisong's trio" une modernité individuée c'est à dire d'abord un ressenti universel puis ré accouchée pour son propre compte. Boadway rendu plus qu'humain ! Pour cela, il leur sera adressé un très grand merci !
Fletcher Christian, le 17 Mars 2019
Sun combo, voyageurs du temps
Cette nouvelle année, La cave du jazz continue d'apprendre par différents voyages mentaux inhérents au références essentielles du jazz. Il semble via leur programmation qu'une véritable politique se dessine loin des calculs et des attentes d'un public toujours dangereusement préconçu, celle du vertige temporel et culturel courant sur deux siècles de musiques jazz. La cartographie géographique cette fois s'élargit radicalement sur l'ensemble du territoire mondial, comment le jazz a pu puiser et dialoguer tout le long du siècle avec une musique populaire exigeante qui lui sert de référent admiré, de soutien.
Les invités, Sun combo, quartet français nous ont offert leur interprétation mondialiste de ce qui nourrit leur jazz : la biguine comme peut-être un véritable ancêtre, le hight life nigérian basé aussi dans les années 20, le choro brésilien qui lui remonte au XIXème siècle tout comme le boléro cubain. Comment le jazz s'est constitué et a échangé tout le long du siècle jusqu'à notre XXI ème siècle via le toujours vivant Sonny Rollins, s'encrer avec l'éternel Charlie Parker mais aussi surtout les ponts offerts avec un Fela Kuti par exemple – et là, avec la musique africaine, l'entreprise prenait un ton grave, celle de la politique et de la lutte – voilà la question. Toutes ces influences comme exhaussées par le jazz se sont donné rendez vous par passages, circulations, retours architecturés notamment par l'omniprésence joyeuse et solaire de la biguine.
Le néophyte ne peut que se laisser surprendre par une pédagogie tout en homogénéité amenée par la guitare « aïgue » de Laurent Hestin aux improvisations impalpables et le chaleureux leadership du percussionniste Jean-Philippe Naeder. Alors Sun combo réussit son pari syncrétiste, tant chaque reprises provenues pour nous de la nuit des temps, par des compositions quelquefois très actuelles de musiciens contemporains confirmées, apportés par les goûts et la culture de chacun des membres du groupe, se coulaient dans la fonte personnelle dont leur style se fortifie. Car pas ou peu de folklore chez Sun combo qui ne sont jamais rendu à Cuba, diront-ils malicieusement. L'authenticité sert de base mais n'impose rien à ces musiciens très sûr de leur technique et de leur connivence.
Leur identité ne donne pas à douter et la chimie culturelle opère si bien que personne ne s'étonnera que Laurent Hestin vienne seul en rappel nous gratifier de sa solitude de guitariste, tout en résumé de son compagnonnage, l'ensemble du groupe venant le rejoindre pour ponctuer ce beau moment de solitude, signature d'un véritable positionnement musical, profond parce que spatial : Les musiciens de Sun combo sont des voyageurs du temps.
Fletcher Christian, le 27 Janvier 2019
Miguel Gomez y los compadres de la salsa, une filiation populaire..
L'heure était à la danse, ce soir à la cave du jazz. Une remarquable affluence venu de toute l'Île de France, soutenue par la réputation de musiciens hors pairs de Miguel Gomez et ses compagnons, était venu spécifiquement pour danser la salsa ce qu'ils n'ont pas manqué de faire, du fond de la salle avec une joie féconde en paroles, discussions, appels de connaisseurs aux moindres introductions rieuses du pianiste vénézuélien Franklin Lozada : Lorrez le Boccage a été véritablement investi d'un certain esprit de la salsa, lui plus habitué à l'exigence sourcilleuse du jazz.
Le groupe et son public d'habitués nous ont proposé de concert , l'un jouant pour l'autre ce qui se fait de mieux dans ce qu'on appellera la musique populaire. Beaucoup de reprises donc passant de l'inévitable Buena Vista Social Club et Compay Secundo et même, difficilement reconnaissable sous le rythme amérindien, de la pop anglaise issus du fond des âges à savoir Baby you can drive my car des premiers Beatles. C'est que ces musiciens se connaissent depuis 40 ans et il était très beau de voir leur connivence musicienne s'interpeller et se répondre au moindre signe et faire la part belle à l'extraordinaire maestria d'homme orchestre de "Cuchi" Almeida en bras droit chantant et jouant de la basse de sa seule main gauche, l'autre préoccupée de ses "Timbales", sans oublier la cloche du pied gauche, un homme qui permet à ce quartet d'être un véritable sextet. Le jeune trompettiste Alexis Bourguignon invité par ces vieux compères, issus de la musique classique et reconnu joyeusement par le public pour son apport populaire à la télévision n'a pas fait faute de participer à la fête, simplicité et virtuosité retenue allant donc toujours de pair.
Alors qu'est ce que la musique populaire ? Une propension à se rire de l'égo pour se joindre au public de connaisseurs, qui graduellement se déplaçait vers le fond de la salle pour danser aux airs reconnus. Pourtant ces professionnels réputés ne sont pas un groupe de bal et les applaudissements en cours de set en font foi, ces musiciens assermentés savent leur formule issue de leur culture amérindienne qui outrepasse de beaucoup leur seule appellation cubaine...
Deux interruptions parallèles ont pu nous faire entrevoir la relation que ce groupe avait avec leur public, une rapide coupure d'électricité a permis l'aide chaleureuse des auditeurs à chanter et réinvestir le groupe dans leur pratique ; c'est dans la nuit que leurs chants et la revenue de la musique sans partition ont permis au concert de prendre une autre dimension se terminant tous le monde debout au dernier morceau. Mais surtout une minute de silence pour le père de Miguel Gomez décédé cette semaine, et les danseurs diserts, vivants donc, se turent, stoppant la danse pour un père percussionniste et chanteur lui aussi. Voilà la musique populaire, une filiation , un respect, un deuil qui n'oubliera pas de reprendre son allégresse. «Mon père est mort, musicien lui aussi mais je suis avec vous « et dans la nuit du crachin venteux venu de l'Ouest c'est tout le soleil de l'Amérique, rieur et résistant qui est venu cérémonieusement se recueillir, chantant, dansant, souriant de par leur rythme filial.
Fletcher Christian
Retour au voyage, au territoires étrangers et lointains ! Jelly Bump en bon professeur assermenté réservant à la cave du jazz la sortie en avant-première de leur dernier opus.
C'est sous l'égide du fantasque Jelly Roll Morton que ces prosélytes passionnées du jazz noir de la Nouvelle-Orléans nous ont requinqué d'une triste fin d'Automne. Avec ce rien de gouaille émaillée de private jokes à sous entendu sexuels qui plaisanteraient leur propre nom de par l'argot américain, les petits bars alcoolisés, les maisons closes convenablement tues, on en viendra naturellement à quelques reprises clairement traduites de l'inévitable Kurt Weil. Jelly Bump marie le picaresque et le léger comme on hésiterait à retranscrire le dur pittoresque d'une époque et le divertissant, la pochade pastiche en culottes courtes bien parisiennes.
Par une première partie très habitée et studieuse, ils nous ont donné à ressentir, costards élégants sortis pour l'occasion, les caractères premiers de ce trajet aussi temporel que géographique. À chacun son Jelly Bump, le ludique perçait à l'occasion, de bons mots désamorçant le pédagogique jusqu'au détournement pur et simple, léger et très français. Le public s'est réjouit d'une deuxième partie plus spacieuse, libérée de l'admiration et participa pleinement aux invitations, joueuses des soli d'instruments dont on sentait bien le grand amour pour l'acoustique bien aidé par le sousaphone, la petite batterie et le banjo derrière les braves, les héros de la clarinette et du saxophone.
Pas de spectacle à sketchs pourtant – ce qu'ils ont accompli par le passé - mais la bande son très cinématographique d'une époque à l'aide de tous ses représentants semi-divinisés. Avec une modestie amusante bien entendu, Jelly Bump les réincarnera littéralement devant nous, et c'est toute une bataille musicale que l'on ressent, ses heurts et malheurs, et surtout ses parterres de fleurs à venir, de l'histoire primitive du jazz. On remonte aux origines de la foi qui ne manquera pas d'humour et la saison se replie, vaincue comme par l'effort obstiné d'un petit orchestre de jazz qui nous apporte cette joie, ce réconfort étrange issue d'une époque des plus âpres.
Alors quel est ce « jazz vivant » dont se prévalent ces musiciens promis aux serment de leurs idéaux ? Provient-il du ludique ou de la fidélité ? À écouter depuis les originaux défricheurs américains, après ce beau concert, on les découvrira sans servilité, conforme à l'esprit plus qu'à la lettre. Encore une victoire de la cave du Jazz dont l'éclectisme de la programmation, vantée par les intervenants même, nous pousse encore à la découverte. Le lendemain, on s'entichera du fol Jelly Roll Morton de par une triste journée dominicale. Transmission, médiation ont été entendues.
Fletcher Christian
Marc LONCHAMPT Quartet
Octobre 2018
Avec le Marc Lonchampt quartet nous avons eu à faire a une belle leçon artistique, créatrice ; comment l'artiste vit au monde et s'y manifeste. Les bénévoles passionnés de la cave du jazz ont invité ce soir ce qu'il y a de plus beau dans le professionnalisme.
On ne plaisante pas avec la légèreté, on est virtuose de sa plénitude et de son refus du malheur. Ces musiciens matures conscient de leur force et de leur aptitude nous ont donné à entendre un vrai enseignement de finesse et surtout de talent.
Leur jazz est donc un art de la joie, rigoureux, ne laissant aucune place à la mélancolie ou à l'affectation, mais avec le plus grand sérieux, sans aucun appel du pied comique, à l'aide d'une habileté éthérée, qui appellent au plaisir et à la reconnaissance.
Leur musique est affaire de gens qui savent l'art du divertissement américain, le trouble existentiel pudiquement réservé, c'est l'instrument qui impose sa légèreté toute nietzschéenne ou j'oserais cette analogie artistique ces explosions de fleurs de la fin de vie colorée d'Odilon Redon. Le public ne s'y est pas trompé, un respect tangible semblait ambiancer l'atmosphère de ce beau début d'automne. Nous avons assisté à un vrai concert issu de gens qui se savent et un certain public qui a fait le grand voyage pour se retrouver en belle communion.
Ces musiciens aguerris, conscient de leur technique se sont en effet recomposés et se sont découverts devant nous, basé sur un album, qu'ils ont revisité entièrement, de compositions personnelles et de standards revus et toujours corrigés par l'Histoire.Ils se connaissaient peu et circonstance oblige c'est devant le public de la Cave du Jazz qu'ils apprirent à se reconnaître, par leur aptitude musicale seulement.... c'est au détour d'une phrase que j'ai surprise, qu'on les comprend pour ce qu'ils sont spécifiquement «Nous pourrions recommencer à jouer ensemble cela nous permettrait de parler de nouveau !»
Le dialogue musical du pianiste et du guitariste qui ne se sont fréquenté que deux jours s'est opéré devant nous comme l'événement inexprimable quasi tactile d'un film de Boorman. Vous le savez cette séquence ou un touriste urbain parle, banjos fusionnés, avec un jeune autochtone et bien c'est à ce vertigineux échange que nous avons eu la grâce d'assister mais avec des musiciens aguerris ayant eu leur vécu de musique. Nous avons eu ce privilège à la Cave du Jazz d'être présent à ce grand instant créateur en ce qu'il a de plus maîtrisé, celui de gens qui vivent de leur art, avec une gravité, une réserve je dirais que seule la musique dément. C'est la beauté de l'art qui n'a jamais été prostitution spectaculaire mais un artisanat brillant, sans rien de romantique, imposant son gai savoir.
Un standard déjà revisité et Marc Lonchampt vient à plaisir s'y repositionner. Telle référence reprise est qualifiée issue d'excellents musiciens : nous avons a faire a des gens de métier. Le bonheur du jazz n'est pas burlesque, elle se manifeste dans les délier des doigts et la transsubstantiation de l'être humain, doué de parole et de sentiments, en leurs instruments. Un problème d'enceinte, momentané, nous a révélé l'aptitude de ces artistes à occuper le silence et c'était très beau à voir, cette attente meublée de notes patientes qui peu à peu sans y prendre garde ne purent faire autre chose que reprendre du service.
En somme ces grands professionnels nous ont parlé de leur jeunesse toujours là en leurs doigts et c'était là le grand moment d'émotion. Au piano, à la guitare, le pathos n'existe pas. C'est de vie musicienne qu'il s'agit.
Fletcher Christian
BUZZTOWN
Septembre 2018
La cave du Jazz l'année dernière jouait la carte du voyage, une nouvelle année commence et on peut vraiment dire qu'elle fait doucement rupture avec Buzztown. Pas de voyage, pas de paysage dans le blues complexe de ce groupe français anglophone mais une façon toute personnelle de ramener à soi une culture multiple qui ne rend pas compte fidèlement, en prosélyte, d'un pays ou d'une histoire. C'est que ses quatre membres ont depuis longtemps incubé leur amour du blues ; ne cherchez pas chez eux de l'iconoclastie toujours très attendue mais au contraire un respect distillé de ce qui est venu corporellement à eux et dont ils n'ont paradoxalement pas à faire allégeance. Ils ne rendent plus compte du blues, du jazz, du rock, du reggae ils les ont fait venir à eux comme dans un creuset, un alambic et modestement, systématiquement, avec une belle constance, bâtissent la base d'une pyramide dont la pointe a été ce samedi 22 Septembre l'émotivité conquise de leur public.
Comme ont le dit pour le cinéaste leur pays, leur histoire c'est l'instrument.C'est la question de la complexité de l'identité qui est en jeu et Buzztown y répond avec discrétion et méthode. C'est tout le mérite de la cave du jazz que d'avoir eu l'ouverture d'esprit, payante, d'accepter un groupe - qui ont le suppose par ces temps régressifs, où les médiums artistiques dans le souvenir intempestif des anciennes avants-gardes ne font pas toujours ponts, où l'identité spécifique se doit d'être rapidement et scandaleusement démontrée – qui doit certainement avoir des soucis avec son époque, ses lieux, ses chapelles.
Leur système, fruit de l'exhaustivité de leurs influences prend son temps, se répète de morceau en morceau, sans jamais se radicaliser. Qu'est ce que la radicalité face à la diversité des influences? Pas de reprises mais un fin ouvrage de compositions personnelles qui peut rappeler le novice en théâtre qui se riant des répétitions méticuleuses de son vieux confrère en vient a abdiquer devant la merveilleuse horlogerie de son résultat.
Le cinéaste provocant formule des idées vagues par des images claires, Buzztown pareillement prend plaisir au trop plein de la note mais avec une propreté, une netteté qui leur permettent de contrôler leur hétérogénéité et de proposer ces finales envolées, preuve que le précis engendre l'émotivité.
Excellents musiciens, les mots ne sont pas plus sacrifiés comme on pourrait peut-être s'y attendre en discernant chaque fois leur introduction et conclusion standart à un espace instrumentalisé qui prend largement, dans un entre-deux ventral toute sa liberté. Mais pour autant l'instrumentiste parle-t-il ? Je ne le crois pas tant les soli nombreux sont du pays, ici, du seul sentiment.
Quelle est la modernité auto-proclamée du blues de Buzztown ? Une avancée lente et progressive vers un graissage par l'atmosphère qui emporte très intelligemment l'adhésion et laisse le public de la cave du jazz finalement pantois. Ces jeunes gens ont de la maturité artistique, ils ont trouvé leur formule comme dirait le poète pour mieux l'amplifier ou au contraire decrescendo la marier de silence sans lequel la musique ne serait rien.
Buzztown a donc raison, il fait bien un blues moderne en cela que rigoureux, mais au contraire du peintre et du littérateur ne se résumant pas, il ouvre le champs de l'identité sans aucune mollesse ni indécision. La modernité ici ne déconstruit pas, ne détruit pas pour mieux s'excuser de jouer, mais dans la question identitaire qu'il pose ouvrage son morceau, systématiquement comme avec une belle persévérance et fini par dépasser la clarté de la note pour imposer cette belle ambiance, c'est à dire in fine le mystère invisible de son style.
Fletcher Christian
SEIS POR OCHO
Juin 2018
6/8 c'est la base rythmique que l'on retrouve dans la musique classique, la valse et...
Samedi soir pour le dernier concert de la saison le groupe Seis por ocho a tenu magistralement ses promesses et a même réussi, c'est une forme de performance, à faire danser une partie du public qui lassé de voir ses jambes bouger toutes seules s'est décidé à se lever. Le voyage annoncé était le Brésil mais c'est surtout à Cuba que nous nous sommes posés, et pour cause c'est le pays de la chanteuse Yanara.
La formidable « machine » rythmique s'est mise en chauffe, menée par le jeu subtil de Nicolas au piano, les congas et le chant de José aux mains magiques, la flute et le saxo aérien d'Arnaud, le trombone puissant et chaleureux de Giovanni, la basse ronde et précice de Karim et dès l'arrivée de Yanara le décollage à eu lieu, la voix chaude et chaleureuse, le mouvement léger de son corps, qui accompagne les bras, au bout des bras des mains et dans les mains des maracas ou un guiro et la magie opère... Bref un très beau voyage comme on les aime à la cave du jazz. Le public après une ovation debout est rentré sur un nuage. Et vous repartez bientôt ?
Bonjour, ou étiez-vous pendant les ponts du mois de mai ?
Nous avons voyagé en Louisiane ou nous avons goûté la southern food de la nouvelle Orleans (le dernier album), nous avons apprécié la "country" près de Nashville, nous avons aussi fait un saut au brésil pour la samba de mia terra sans oublier un soupçon de bossa nova et en rêve nous avons même entendu une vielle comptine de Syrie chantée en arabe totalement hypnotisante avant de partager les chants étranges des blacks indians, bref plein la vue et les oreilles mais sans jet lag.
Ce soir le trio LAS FAMATINAS nous a emmené en Argentine à travers un concert conte ou conte concert tant le talent de Ninon est grand, en cinq minutes toute la salle était dans la Pampa et y est restée jusqu’au bout, ce qui est surprenant c’est que les silences étaient comme le prolongement d’une musique intérieure amenée par petites touches par, la voix, je devrais dire les voix, car chacune a son registre propre complémentaire des deux autres, les flûtes de Valentine, le bandonéon de Ninon, les ukulélé, violon, cajon, de Patricia sans oublier le caja (tambourin argentin) et, chaque titre présenté par une histoire contée qui maintient la salle en haleine ou dans les grands espaces. On sent la cordillère dans le fond et les herbes qui bougent sous le vent léger, l’esprit du carnaval dans les villages du nord. Dans la salle se trouvait un Argentin très ému qui dit avoir retrouvé son enfance, tellement surpris que cela lui arrive ici à Lorrez-le Bocage, mais cette émotion a aussi été largement partagée par le public qui est reparti comme s’il arrivait de la bas.